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"X-FILES : LA CONSPIRATION DES SOLITUDES"


Souvent le créateur ne connaît pas sa créature. Telle créatrice qui relève le défi lancé par ses compagnons lors d’une nuit d’orage croit écrire un roman à faire peur et nous livre une parabole sur les prétentions de la science moderne à percer le secret de la vie ; tel créateur qui s’emploie à mettre au point le récit définitif de l’épouvante nous régale, en réalité, d’une composition complexe exposant le triomphe de la bourgeoisie sur l’aristocratie devenue fantasme romantique pour jeunes filles en mal d’érotisme romanesque. Frankenstein et Dracula…

Paul Valéry, invité dans un lycée, manifesta son étonnement à l’écoute des commentaires et analyses de sa poésie par les élèves et leurs professeurs. Vous connaissez mieux que moi, les moindres de mes strophes et ce que j’ai voulu dire, vous me l’apprenez ! Déclara-t-il joyeusement.

Le cinéma n’est pas en reste. Les exemples y abondent où le réalisateur croit sincèrement nous distraire avec une bonne histoire bien racontée en images, mais où, en définitive, il nous fait part, sans le savoir, des conceptions intimes de son inconscient sur le monde, la vie, les hommes, les femmes, ses désirs inavouables… Réfléchissez un peu, vous en trouverez à foison. Non ? Oui ! bien sûr que oui !

Le cinématographe aujourd’hui se laisse volontiers découper en morceaux. C’est l’âge des séries. Il y est question de segments, d’arcs narratifs, de saisons. Il faut faire durer le plaisir, obtenir l’addiction du public, voire sa participation grâce à internet, ses forums, ses commentaires circulants partout et recueillis précieusement par les grands ordonnateurs qui en font bon usage, n’en doutez pas. Le démocrate est ravi, on écoute enfin le peuple… Suffit ! J’allais encore la ramener sur la société actuelle gna gna gna gna gna… Gardons ça pour une prochaine fois.

X-Files, donc. Le créateur de ce bijou télévisuel, par deux fois cinématographié dans la foulée de son succès phénoménal, juste avant l’an 2000, c’est Chris Carter. Il veut croire et fait croire à tout le monde qu’il nous raconte une histoire dans laquelle notre univers n’est pas tel qu’il prétend être. Que nous sommes endormis, aveugles et sourds, dans une pseudo-réalité, que la vérité est ailleurs et qu’elle n’est jamais, ou rarement, très belle à voir. Nous sommes chez un adepte de l’excellent Charles Fort. Son « Livre des Damnés », qui illumina « Le matin des Magiciens » orchestré par l’inénarrable duo Pauwels et Bergier, est la véritable bible de l’entreprise.



X-files est une série « fantastique et de science-fiction ». Il y a des monstres, des extra-terrestres hostiles préparant avec la complicité de quelques personnages « hauts placés », un grand remplacement qui n’a rien à envier à celui qui fait cauchemarder toutes les nuits un certain zigomar de chez nous, très en vogue. Le complot prospère, c’est un crypto-gouvernement installé depuis des années, 1947 pour être précis, date à laquelle un engin venu d’une autre galaxie s‘est écrasé à Roswell, petite bourgade du sud des USA. Dans le plus grand secret, les corps de ces infortunés visiteurs ainsi que les restes de leur vaisseau spatial sont récupérés par l’armée américaine qui va sans vergogne s’en servir afin de doper ses propres technologies. Parallèlement, les comploteurs terriens vont s’employer à se mettre d’accords avec les extra-terrestres, qui sont là, bien là et depuis longtemps, pour organiser au mieux et à leur bénéfice la colonisation de notre chère planète bleue.

Voilà, rapidement brossé, le tableau de ce que Chris Carter croit nous donner à voir. En 2015 et 2016, il est revenu avec deux nouvelles et ultimes saisons, sans grand succès, les conspirations et complots étant désormais choses courantes partout, facilitant grandement les entreprises des pouvoirs institués qui n’ont plus besoin de cacher quoi que ce soit de leurs turpitudes puisqu’il existe toujours un complot quelque part pour révéler que ce que l’institution ne cache pas est en réalité un rideau de fumée visant à dissimuler qu’elle ne cache rien. C’est clair pour vous ? Parce que moi… Enfin, ce que je peux vous dire là-dessus, et ça n’engage que moi, c’est que je suis au centre d’une conspiration du silence et que c’est très reposant ! Mais, chut !

Eh bien moi, je tiens que Chris Carter ne sait pas ce qu’il a créé et que ce qu’il a créé, c’est une conspiration des solitudes doublée d’une des plus belles histoires d’amour jamais portée à l’écran ! Foutaises que ses monstres, extra-terrestres envahissants, et autres diableries mystico-chrétiennes ! Tout ceci constitue le contenu manifeste de son récit. Le contenu latent est autrement intéressant.

Car il y a Mulder et Scully, autour desquels gravitent de très méchantes gens dominées par un vieux bonhomme fumeur invétéré, puisque c’est Le Méchant. Intoxiqué à la nicotine, qui le tue à petit feu, écrivain raté, persuadé, faute de mieux, d’être pour quelque chose dans tout ce qui se passe dans le Monde assassinat de Kennedy compris, il intervient, particulièrement, dans le destin de ce couple, alors qu’il en est bel et bien la créature, père fantasmé, cruel, indestructible. Mulder et Scully ont tout inventé y compris leur géniteur, car si l’on connaît Chris Carter, ce n’est que par eux.




Fox Mulder et Dana Scully ? Des enfants qui s’aiment.

C’est le premier épisode. Oublions le récit si bien concocté par les scénaristes, foin du FBI, de ses bureaux et manigances, voyons ce qu’il y a derrière l’écran. C’est une rentrée des classes. Fox est un excellent élève mais il a déjà sa réputation : un peu fou-fou, trublion, hostile à l’autorité imposée de l’institution, doué pour inventer des histoires qui n’intéressent que lui, agacent ses professeurs et dressent les autres élèves dont il est la risée contre lui. Il est mis à l’écart, mais au fond ne s’en porte pas plus mal. Ou plutôt, son orgueil le soutient, nourrit son esprit caustique, l’ironie qu’il pratique volontiers et apaise cette colère rentrée qui bouillonne en lui. Il s’agit de dominer sa douleur, celle d’un môme qui se sent coupable de la disparition de sa petite sœur et dont les parents n’ont jamais voulu lui dire ce qu’il en était vraiment. Ses parents se sont séparés, il les perçoit comme des comploteurs, ne lâchant rien de leurs petits secrets, qui le laissent se débattre dans sa nuit solitaire d’enfant sujet aux cauchemars.

Et voilà qu’en ce premier jour de cette rentrée, une « nouvelle » pointe le bout de son nez. Elle est un peu plus jeune. Mais, brillante élève, le directeur a consenti à ce qu’elle intègre cette classe-là, celle de Mulder. On l’installe à côté de lui. Sarcastique, il ne se montre pas déplaisant mais il ironise sur le fait qu’on l’ait placée juste là, sur « son » banc, à la merci du mauvais sujet. A moins qu’« Ils » ne l’aient placés là pour lui nuire, pour le dénoncer s’il se livrait à quelques mauvaises blagues bien dans sa manière. Cependant, elle sait lui répondre, intimidée mais sans agressivité, dans un sourire désarmant. Elle lui plaît.

Elle, Dana Katherin Scully. Famille aimante, pieuse mais sans fanatisme, une gentille maman au foyer, un papa militaire, officier de marine, homme de principes, néanmoins débonnaire et bienveillant, deux grands frères, une sœur. Une famille américaine telle qu’on aime à se les représenter là-bas. Dana est une enfant sage mais elle a des idées de grandeur. En fait, elle est ambitieuse mais pas comme le souhaiterait les siens. Elle se sent un peu à l’étroit dans son éducation où on la verrait volontiers vivre la vie des jeunes filles de son âge ; étudier, certes, puis rencontrer un garçon sympathique, honnête et travailleurs, fonder un foyer, etc. Or, elle se sent différente, se pose des questions sur la vie et la mort, s’intéresse aux sciences, aux lois de l’univers et pourrait se laisser tenter par la transgression, pas trop loin, et non sans en être effrayée et, finalement, rétive. Car, tout de même, elle aime son confort. Sa famille admet sa volonté d’indépendance. Dana Scully est une solitaire raisonnable. Elle apprécie ce diablotin auprès duquel on l’a installée.

Très vite, va s’instaurer entre Mulder et Scully, une relation d’exclusivité. D’abord, ils s’appellent par leurs noms de famille, toujours, signe de leur exclusivisme. Les autres, ceux du dehors, usent lorsqu’ils deviennent intimes, de leurs prénoms, pas eux.

Ensuite, ils feront leurs devoirs ensemble, conjuguant la rigueur parfois pesante de Scully avec les partis pris délirants de Mulder dont le mantra est « And what if… ». Ce qui ne va pas sans heurt, agacement, fâcherie, qui sont autant de jeux intimes qui ne regardent qu’eux. Et si d’aventure, une personne se met en tiers dans leur « disputatio », cela leur est insupportable. Comme il leur est insupportable de se sentir exclus du jeu que jouerait son partenaire avec quelqu’un d’autre qu’eux.



Et ils vont jouer ces deux-là ! La plupart du temps, c’est Mulder qui prend l’initiative. Il imagine des situations, des scénarii, et s’empresse de l’y entrainer. Qu’il s’agisse d’aller essayer d’apercevoir un monstre aquatique aux alentours d’un lac dont il a entendu parler, de passer la nuit dans une maison hantée, de s’introduire dans une enceinte interdite où se trouveraient des extra-terrestres. Il n’est jamais en reste. Il l’entraine dans les aventures délirantes qu’il imaginait pour lui et désormais aussi pour elle. Il est ce grand Meaulnes, cet ami indispensable, ce La Boétie nécessaire à un Montaigne en jupons qui ne peut plus s’en passer.

Elle se laisse faire volontiers, après quelques menues réticences pour la forme. Elle se laisse griser. Dubitative, incrédule, irritante, elle apporte sa musique affreusement raisonnable, détestablement moralisatrice, faussement conformiste, à la symphonie déglinguée de son alter ego qui n’attendait que ça pour lui prouver à la fin la justesse de son répertoire. Elle se sent vaincue. Délicieusement.

Quelquefois, elle se fait morigéner par l’une ou l’autre des autorités adultes. Celles-ci lui rappellent de ne pas se perdre avec le garçon qui est à côté d’elle. Qu’on l’avait mise là pour qu’au contraire elle ait une influence bénéfique sur lui. Qu’elle est une bonne élève, sage et appliquée et doit le rester sous peine de décevoir ses parents et ses professeurs. Elle est sensible à ces rappels à l’ordre. Sincèrement, elle voudrait en faire ressentir la véracité à son Mulder qui ne leur accorde pas la moindre importance.


Toutefois, il l’écoute. Et même, il reconnait ses torts, devant elle et seulement elle. Et puis, il est là, toujours, disponible. Lorsqu’elle s’essaie à d’autres univers que ceux qui sont devenus bel et bien les siens aussi, elle n’y arrive pas. Scully s’ennuie séparée de Mulder. Elle attend son appel.

Elle l’appelle s’il ne le fait pas : « Where are you Mulder ? ».


Jouons ! Nous sommes deux agents du FBI. C’est le monde des adultes. Un monde trompeur, truffé de chausse-trappes, d’impasses et d’odieuses créatures ourdissant complots et manigances contre l’humanité incrédule. Ils devront faire triompher la Vérité. Quelle est-elle ? Ils ne le découvriront jamais sinon à la fin du jeu, lorsque, vaincus par la lassitude, ils constateront la vanité de leur quête et que la Vérité est résolument toujours ailleurs, à force de la sacraliser. Entre temps, ils seront devenus adultes.

Longtemps, ce sont deux adolescents encore bien englués dans le terreau fertile en insouciance de l’enfance. Ils sentent parfois venir le bouleversement en eux. Les capacités de refus, le syndrome de Peter Pan dont ne veut pas guérir Mulder, toutes ces stratégies pour ne pas grandir, ne pas céder à l’angoisse du devenir, sont fragiles. Et difficiles à vivre. Scully sera pour lui celle qu’il faut pour franchir le cap sans se renier.

Comme souvent, en effet, c’est la fille qui est plus mature que le garçon. Et c’est après bien des vicissitudes, des atermoiements, des déguisements conscients et inconscients, que la sexualité, interminablement reportée comme un danger vital, une peur panique, une honteuse préoccupation, jusqu’à s’inventer un enfant conçu miraculeusement, comme pour intégrer au jeu, celui, faussement innocent, du papa et de la maman, entrera enfin dans le champ du désir enfin reconnu comme tel. L’évidence de leur amour irréductible s’impose aux corps et particulièrement à celui de Mulder qui, à l’immense bonheur de Scully, ne la voit plus comme sa partenaire privilégiée, sa complice, mais comme une femme et une femme désirable qui le désire lui, un homme, sur la Terre comme au Lit. Amen.

Les enfants ne sont plus des enfants, mais ils s’aiment toujours et plus que jamais.

Dès lors la série est terminée.

Cela s’appelle en bon français, un "happy-end" je crois !



Gilbert Provaux – JANVIER 2022

(Toutes les illustrations sont issues de la série "X-FILES" ou d'images promotionnelles)

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