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"UNE PETITE HISTOIRE DE L’HUMAIN"


"2001 l'Odyssée de l'Espace" S. Kubrick
"2001 l'Odyssée de l'Espace" S. Kubrick


Dans la touffeur des jungles africaines, un jour, les singes sont tombés malades.


Tout à coup, ceux qui étaient frappés délaissèrent les arbres. Ils s’aventurèrent dans la savane se frayant un chemin parmi les hautes herbes. Ils se dressèrent sur leurs pattes de derrière, bancals et peu sûrs d’eux, pour voir au loin, voir au-delà. Et partirent, abandonnant leurs semblables, sains de corps et d’esprit, qui les regardaient s’éloigner en poussant de petits cris tristes et étonnés, essayant de les retenir par des gestes dérisoires. Les singes oublièrent bientôt ces quelques-uns pris par la maladie, en allés vers un destin qui ne les réunirait jamais plus autrement qu’à travers des grilles de fer.

La maladie poussait ces quelques-uns toujours plus avant vers l’inconnu. Elle chuchotait à leurs oreilles qu’ils étaient autre chose que des singes. C’était un virus terrifiant ; à cause de lui, ils ne savaient plus trop ce qu’ils étaient, ils se transformaient.

D’autres avaient été infectés avant eux, des singes en avaient aperçu quelquefois de ces primates bizarres, ici ou là, de ce côté-ci du rift, ou plus au nord vers l’ouest. Un signe qui ne trompait pas était par exemple, la manie de la fabrication de ces objets qu’on nommerait bien plus tard artefacts. Avaient-ils un ruisseau à franchir, ils réunissaient des branchages pour servir de passerelle, ce que des singes faisaient aussi à l’occasion, mais eux, loin de l’abandonner ensuite, veillaient à ce qu’elle soit assez solide pour pouvoir demeurer en place.

Certains devenaient très habiles à la fabrication d’outils, le pouce, devenu opposable favorisait les manipulations complexes. Et l’utilisation de ces outils semblait agir sur eux, les amener à envisager une façon différente d’exister. Les efforts de chacun et chacune ne pouvaient plus s’exprimer n’importe comment, n’importe quand. Il fallut les répartir dans le groupe, distribuer les rôles. Entre les mâles et les femelles d’abord, et à jamais, les compromis ont toujours été disputés. Devenus hommes et femmes, ils surent malgré tout s’accorder. Si l’homme sut s’octroyer la prééminence, les femmes ne furent jamais de dociles quantités négligeables. Au procès des siècles, les femmes surent toujours, quelquefois dans les pires conditions, se faire entendre, se battre, s’imposer. Les données récentes mises au jour par les recherches inlassables des historiennes et historiens et des archéologues, souvent hélas de nos jours surinterprétées et médiatisées sans retenue dans le sens d’une idéologie féministe dévoyée dans les querelles de genre, le révèle abondamment.

Mais revenons à nos outils, des outils de chasseurs pour les chasseurs pourront aussi devenir des armes pour se défendre des bêtes sauvages, pour faire obéir celles que l’on domestiquera, et, le cas échéant, pour attaquer les hardes hostiles aux points d’eau à conquérir.

Conquérir !


Pour la cueillette, les besaces sont indispensables. Il faudra songer aux réserves à entreposer, les surveiller. Peut-être devra-t-on s’installer où le terrain est favorable. Cultiver nous-même, essayer de reproduire, en mieux, ce que fait la nature. Nous organiser, hiérarchiser, nous parler une même langue entre nous. Survivre ne suffit plus. Que de questions se posent, que de questions à se poser ! Le feu nous éclairera ! Il nous fait la nourriture meilleure, la viande plus digeste. Il nous chauffe, il effraie les animaux sauvages, il peut nous servir à tant de choses ! C’est un cadeau des dieux ! Car nous avons buté sur la montagne, nous avons levé le front vers le cosmos infini, suivi les rivières depuis le torrent, trempé nos pieds dans l’océan énorme et jeté sur son dos tempétueux de frêles vaisseaux pour nos voyages irrésistibles.

Et compris ainsi qu’il y a des dieux qu’il faut honorer pour qu’ils nous favorisent. Quelques-uns d’entre nous, des femmes aussi, familières des végétations éloquentes, s’en préoccuperont ; un autre, fort et savant, comme le furent ses ancêtres, nous conduira.

Et la nature nous est devenue moins hostile à mesure que nous en sortions. Et, sur les parois de nos premiers habitats, alors que nous commencions à peine à nous reconnaître nus, perdant notre pilosité originelle, nous avons imprimé nos mains et tracé nos formes essentielles avec nos sexes d’hommes tendus vers le ciel et les vulves des femmes dominant la terre qui porterait nos enfants. Car la survie nous obsédait et la maternité se faisait déesse généreuse et puissante. Nous avons taillé les pierres sacrées pour la représenter, forte, ronde, épanouie, aux seins gonflés de lait, notre déesse. Nous avons gravé aussi les formes des autres créatures vivantes, celles que nous poursuivions, celles que nous adorions. Nous rêvions d’abondance et d’éternité !


"Le Printemps" S. Botticelli
"Le Printemps" S. Botticelli

Les dangers extrêmes qui nous menaçaient du fait de nos semblables ont toujours étaient compensés par l’entraide désintéressée. Les peuples ont déferlé comme des vagues recouvrant ou subjuguant ceux qui étaient déjà là sans les engloutir jamais. Les peuples ont su se concilier des territoires, passer des accords, se lier, se donner et se contre-donner, échanger, s’admirer, s’imiter et se recréer ensemble. Sans quoi comment aurions-nous pu bâtir ces formidables civilisations, de Babylone à la Perse Achéménide ; de l’Egypte pharaonique, toute vibrante de vie et de mort, tendue vers le soleil de l’éternel retour, à la réinvention de l’homme inscrite dans le miracle grec ? De l’Indus multicolore, tentation à laquelle nous succomberons et limite que nous repousserons jusqu’à cette Chine innombrable lointaine, farouche et d’autant plus convoitée, à la Rome visionnaire, bâtisseuse infatigable ; de la Chrétienté d’occident et son fameux manteau d’églises qui va s’employer à polir les rapports tumultueux entre les trois ordres aux fonctions idéalement complémentaires et commencer de reconsidérer les femmes en osant, à nouveau, parler d’amour, tandis qu’aux confins elle s’affronte à l’Islam, jeune insolent qui ne lui reconnaît dans la foi que la préséance temporelle et lui dénie toute pertinence dans la connaissance des desseins du Très Haut.

Aux Lumières enfin, qui porteront l’humanité à opter pour la Raison contre tous les obscurantismes déchainés contre elle aujourd’hui encore, et, par elle, triompher de la matière.


Le virus a muté, une fois, deux fois, dix fois, des milliers, des milliards de fois, le virus de l’hominisation, par le fruit du hasard soumis à la dure nécessité, si bien qu’il est devenu nous. Nous, cela veut dire une étrange créature, un animal dénaturé qui ne peut être lui-même hors du contexte humain. Un nouveau-né humain, abandonné loin des siens en pleine nature, s’il survit, ne deviendra jamais un humain.

Il n’y a pas de nature humaine, il n’y a qu’une condition humaine. L’humaine condition…

Mise à rude épreuve et condamnée à terme en nos temps post-modernes et bizarrement archaïques où les pratiques magiques, les croyances les plus folles reviennent en force pour accompagner et précipiter la fin de l’humain. Je veux dire, au-delà de la diversité des cultures, diversité de plus en plus fictive, la fin de l’homme et de la femme, au profit d’une créature informe, asexuée ou sursexuée, qui ne veut plus assumer ce qu’elle n’a plus la force d’assumer, sa condition humaine précisément, et se livre, épuisée, heureuse et volontaire aux sirènes d’une science fourvoyée dont les comités d’éthique ne sont là que pour se donner bonne conscience.

L’existentialisme Sartrien était encore un humanisme, une philosophie du sujet conscient, conscient de sa liberté sous le ciel vidé de ses divinités, mais aussi de sa responsabilité qui en découle et qui est lourde puisque toute son existence ne dépend plus que de lui.

Trop lourd : en 1968 l’homme, ce vieil inconscient en marche, se veut non plus engagé, comme on feint encore de le croire aujourd’hui, mais dégagé, irresponsable, insouciant de lui-même à travers les structures de la nouvelle philosophie du temps qui va accompagner la mutation du capitalisme industriel en techno-capitalisme financier globalisé à la mesure de la planète entière.

Interdit d’interdire est bien le slogan de cette mutation qui va voir le monde se débarrasser de tout ce qui pourrait lui nuire, les idées de nations, de culture, d’histoire, de morale, d’éducation, de valeurs, d’intégrité, de respect, de toutes notions qui échapperaient ou nuiraient à la marchandisation généralisée de la vie des hommes et des femmes. Bien sûr, les mots demeurent et sont utilisés à tort et à travers et sur tous les tons. Mais ils ont été vidés de toute sève, de toute force, de tout sens. Ce ne sont plus que des accessoires pratiques à utiliser pour décrédibiliser, agresser, détruire, mentir.

Démocratie n’est plus qu’un vain mot, un mot rassis, cadavre momifié dont on retire au besoin les bandelettes vermoulues et que l’on n’interroge plus. De la même façon qu’on invoque les droits de l’homme comme un vieux symbole qui fait toujours son petit effet, ça ne mange pas de pain… Peut-être qu’après tout, la démocratie est réalisée ?

Du moment que les formes sont respectées et que chacun a le droit de déblatérer partout ! Après tout, tout le monde aujourd’hui donne son opinion sur tout et sans retenue, qu’a-t-on besoin de se battre contre l’abstention aux élections, pour les RIP, les RIC, ou autres formules de référendum, quand le peuple s’exprime et éprouve volontiers sa puissance en mettant la pression sur tel ou telle qui n’aura pas fait ou dit ce que la meute majoritaire veut voir faire ou entendre !

D’aucuns, ici ou là, pointent les dangers que nos sociétés hautement numérisées font planer sur nos libertés. Mais qui a résisté à la mise en place d’internet, aux réseaux sociaux qui nous mettent à nu et nous conditionnent en même temps pour le plus grand profit de nos maîtres qui ne sont même pas les politiques, ceux-là ne servent qu’à polariser les colères populaires et à faire diversion ? Qui a refusé de diffuser sur ces réseaux photographies personnelles, vidéos intimes, à profusion pour quêter des applaudissements, des approbations par milliers, dans le désir insatiable, hautement pathétique, d’être reconnu comme membre apprécié de la Communauté ? J’allais écrire l’Oumma pour parler comme les croyants !

Qui a banni de son quotidien les ordinateurs petits et grands, téléphones mobiles, tablettes, etc, qui regorgent de puces qui informent en temps réel sur nos us et coutumes, nos déplacements nos goûts et dégoûts ? Personne, ou peu s’en faut. A l’annonce d’une nouveauté de ce type, des queues devant les magasins se forment des jours, voire des mois avant sa sortie !



Nous sommes les responsables de ce monde, nous avons construit notre propre geôle, nous l’avons voulu parce qu’il matérialise nos désirs et l’illusion de les réaliser. A partir de là, la partie s’est jouée. La Reconfiguration du « parc humain » sur le mode numérique pouvait se dérouler. La Société Monde est interactive, c’est plus joli qu’intrusive et remplace agréablement le vieux terme « démocratique » trop connoté.


Les slogans font rire ou sourire mais tout le monde les connaît, en intègre les messages, ils te disent d’être unique, normal c’est-à-dire unique mais admiré par les autres, autrement dit élu de la tribu à laquelle tu appartiens forcément tatoué, bardé de technologie « intelligente » tout en pratiquant la Nature avec l’attention requise. Tu vas sur ta trottinette électrique vers l’avenir radieux des mutants, capables de larmoyer sur un territoire défiguré, d’y instaurer une ZAD pure et dure, car il devrait bientôt être creusé de fond en comble pour en extraire l’indispensable lithium servant à des joujoux qui te sont tout aussi indispensables. Ô cruauté des choix ! Rassure-toi, on ne va pas creuser ici, on compatit, on va aller le chercher ailleurs ton lithium ou ton cobalt, là où des gars et des filles comme toi ne le sont pas encore tout à fait et où leurs malheureux parents ne pourront pas dire non au progrès qui leur donne l’aumône nécessaire à leur survie obéissante.

Non, ne me remercie pas, tu me cracheras dessus à ta prochaine crise de conscience passagère !

Voici l’ère de la « Déconstruction ». Ce concept de philosophe est tombé dans le giron populaire où il a été compris comme jeu de massacre. Ce n’est pas d’elle qu’il nous vient, mais notre pauvre Simone de Beauvoir avait ouvert la voie avec sa formule fameuse « On ne naît pas femme, on le devient » (aurait-elle dit « On ne naît pas homme, on le devient » que ça marcherait aussi). Du coup, voilà que nos féministes ne veulent plus devenir ça, une femme. Et pour faire bonne mesure, les hommes non plus, ne veulent plus le devenir. Certes, sans conteste, il y avait du travail à faire sur ce que recouvrait ces deux entités « Homme » et « Femme ». Il y avait à dire et redire et à révolutionner. Ce qui fut fait en temps et heure par les femmes elles-mêmes, dans tous les domaines et jusqu’au fond des entreprises, des usines, des ateliers. Et ce n’a pas été une sinécure. Les femmes, enfin celles qui n’acceptaient pas les choses telles qu’elles étaient, luttaient âprement, pied à pied contre la puissance masculine alors hégémonique. Les femmes voulaient devenir des femmes libres de disposer de leur corps, de leurs mouvements, de leurs désirs, de leur vie sans demander la permission au mâle dominant. Un juste réajustement des choses humaines.


UFICT-CGT GRAND REIMS
UFICT-CGT GRAND REIMS

Au XXIème siècle, qu’elles le deviennent ou qu’elles le soient de toute éternité, peu leur chaut, elles ne veulent plus être femme sous le regard des hommes. Les hommes de leur côté, sont invités à se tenir à carreaux en attendant sagement que celles qu’ils aimeraient bien mettre dans leur lit les convoque pour un entretien, dans un lieu public pour éviter tout incontrôlable débordement, et veuille bien examiner leur dossier avec bienveillance.

Car les femmes d’aujourd’hui, d’une moralité à toute épreuve acquise sur les bancs sévères de la grande école hollywoodienne de l’Amérique Puritaine, faut ce qu’il faut, se sont aperçues qu’elles ont passé leur temps en coucheries obligées, en viols répétés souvent par les mêmes hommes cyniques et corrompus qu’elles rencontraient dans leur chambre où elles avaient atterries par un malheureux hasard, tenues qu’elles étaient de subir les horribles penchants luxurieux de ces mâles brutes insatiables si elles voulaient réussir dans la vie.

Tout cela favorisé par une époque lamentable, celle où un premier féminisme, celui que j’évoquais plus haut, s’était montré à leurs yeux, par trop complaisant avec les mœurs on ne peut plus légères de ces années répugnantes, j’ai nommé les année 60-70. Notre reconfiguration des rapports humains a nécessité en conséquence une condamnation en règle de ces années-là, pour l’essentiel de la liberté sexuelle prônée par sa jeunesse et de la permissivité hyperbolique qui semblait s’y exprimer.


Pour les avoir vécues, je reconnais qu’en ces matières, on pouvait se sentir plus libres. A la différence d’aujourd’hui, nous n’étions pas formatés et remettions en cause tous les pouvoirs où qu’ils soient. Rien ne nous paraissait de nature à échapper à l’examen critique et aux remises en cause que cela impliquait : religions, mœurs, interdits, pratiques sexuelles, sexualité infantile, tout y passait. Le but était de nous libérer des pesanteurs de la société bourgeoise, de ses prétentions à tout régenter, à se présenter comme le modèle de base de toute société humaine bien constitué, travail-famille-patrie, ce carcan moralisateur hypocrite et malsain, au bénéfice d’une vie aussi libre que possible, épanouissante et désirable.

L’horizon n’était pas, comme aujourd’hui bouclé, mais ouvert.


Nous ne rêvions pas de technologie, nous nous en méfiions.


Ni d’établissement bien confortable dans une vie de couple morne et sans talent, coincée entre des gosses, une télé, le frigo, la machine à laver dernier cri et devant la porte le SUV électrique (pour lutter contre le réchauffement climatique…). Nous rêvions d’aventure dans un monde où les perspectives pouvaient susciter l’enthousiasme dans un univers indéterminé. Où une incroyable jeunesse expérimentait, de par le monde, des façons différentes, audacieuses, quelquefois périlleuses et affolantes, de vivre. Tout pouvait arriver.

Tout ne peut plus arriver. C’est bien l’objet de la reconfiguration en cours qui correspond à la fin programmée de ce que fut l’humain. Jadis bâtisseur, voilà qu’il déconstruit pour mieux détruire. Du passé faisons table rase, pauvres révolutionnaires, si vous aviez su ! La culture générale, historienne et critique, a été chassée de l’école de la République en même temps que ses « hussards » laïques. Nos gouvernants, missionnés pour produire un individu dépersonnalisé, apte à répondre aux stimuli du consumérisme le plus étroit, vertueux et obéissant, citoyen responsable et « engagé », s’emploie à cette tâche avec application depuis quarante ans maintenant. Et laisse une religion prospérer en terrorisant les enseignants, allant parfois jusqu’au meurtre de l’un d’eux, pour montrer qu’on ne badine pas avec le juste châtiment des blasphémateurs.


Roland TOPOR
Roland TOPOR

Ceci aurait été impensable dans mon lycée marseillais, insolemment libertaire, toujours à la pointe des luttes, où l’élève le plus à droite était socialiste. Et pas seulement mon lycée ! Partout, y compris dans les quartiers populaires, celui où j’ai vécu, au milieu de corses, d’italiens, d’algériens kabyle ou pas, d’arméniens, de pieds noirs, de tout noirs, d’asiatiques, comme d’autres, les religions ne posaient aucun problème à personne. Chacun la vivait s’il en avait une, sans en faire supporter les rigueurs aux autres. Je fais observer, en passant, que les pays arabes étaient pour la plupart, à part les monarchies du Golfe, marxistes, non alignés, laïques. L’Iran occidentalisé était sous le joug du Shah qui n’était pas un tendre, certes, pas marxiste du tout, mais les femmes pouvaient y vivre comme elles l’entendaient, du moins plus librement que ce qu’elles subissent depuis que les mollahs ont pris le pouvoir. Pareil en Afghanistan. J’ajoute que les mouvements révolutionnaires, les groupes prônant la lutte armée, étaient tous dégagés des religions se référant plus volontiers à Marx et Lénine, Mao ou Guevara, qu’à Mahomet, Ali, Iahvé ou Saint Augustin ! Et j’inclus dans le lot les camarades de l’IRA-Provisoire qui, dans les années 60-70, avaient fait leur conversion au marxisme y compris dans son bras politique le Sinn Fein, la lutte n’étant pas une guerre de religion entre catholiques et protestants mais bien une guerre de libération de l’Irlande contre l’anglais occupant encore l’enclave de l’Ulster. Je rappelle que Wolfe Tone, figure fondatrice du nationalisme irlandais était protestant.

Ce n’est qu’au fur et à mesure que l’hégémonie américaine sur l’Occident d’abord, puis, à la faveur de la chute de l’URSS, sur le monde globalisé ensuite, s’est imposée, que les religions sont revenues au galop non pas comme un retour du refoulé, mais bien plutôt comme pièce importante, indispensable même, dans la mise en place du nouvel ordre mondial. C’est que les anglo-saxons ne comprennent pas le concept de laïcité, c’est pour eux un mystère français. Au mieux une curiosité, au pire, comme aujourd’hui, une sale habitude dont on devrait pouvoir nous débarrasser. Ils n’imaginent pas autre chose que la religion pour assoir une morale distinguant le bien du mal. Ils n’imaginent pas que la question des valeurs puisse se résoudre par la force de la raison philosophique. Celle-là même qui a su prévaloir, chez nous, en politique. Du moins jusqu’à présent.

Les américains sont un peuple de marchands. Tout ce qui résiste à ce tropisme mercantile doit être éliminé ou marginalisé en attendant. D’où la globalisation qui se heurte encore à quelques poches de résistance archaïsantes négligeables, comme l’Afghanistan où laisser revenir les talibans a permis d’arrêter la gabegie financière supportée principalement par les USA, on verra plus tard et tant pis pour vous mesdames !

Comme l’Iran, qu’on pensait domestiqué, du moins ne gêne-t-il pas le commerce mondial. Les femmes, admirables de courage, s’y agitent entrainant avec elles la jeunesse, comment tout cela va-t-il évoluer ?


From "Service-Public.fr"
From "Service-Public.fr"

Et puis les russes se sont braqués. Le commerce, la richesse, ils ne sont pas contre mais leur arracher l’Ukraine c’est leur arracher le cœur. Ils ne veulent pas devenir, à l’instar de l’Europe, une simple zone commerciale où l’on viendrait chercher le gaz, un peu de pétrole, et pas mal de ressources précieuses, en échange de produits manufacturés rutilants, de boissons cocacolesques et de hamburgers débordants de tout ! Non. Alors Vladimir joue son va-tout contre le monde entier ou presque. Et Volodimir l’Ukrainien qui a déjà un grand pied en Europe, s’est fait pointe avancée de l’offensive du commerce international contre les vieilleries nationalistes des nostalgiques de la Grande Russie et de l’Ours soviétique. En l’état, vous comprenez bien qu’aucune négociation de paix n‘est envisageable avant épuisement des muscles de part et d’autre. Même un peu rouillés, sur le terrain, ils font encore mal les Ruscofs. Et les ukrainiens ont des arrières puissamment nourris. Dans les deux camps, en attendant, les populations souffrent et meurent.

La reconfiguration du monde passe par le sang et les larmes, là-bas et ici où l’éventualité des attentats est entrée dans les champs prévisionnels. Tous les domaines de l’existence sont touchés, on le sent jusque dans nos quotidiens. Ce que l’on peut dire, pas dire, en public, toujours en public puisque le privé n’existe plus. Les médias nous présentent des femmes qui posent aux victimes, des hommes prédateurs, on ne fait pas dans la nuance, on pense comme nos outils, binarité ! Me revient en mémoire deux vers d’Alfred de Vigny, ça n’est pas beaucoup, les voici :


« Et, se jetant de loin un regard irrité

Les deux sexes mourront chacun de son côté » C’est dans « Les Destinées »…


Cependant, hommes, femmes, qui veut encore de ces choses-là ? Est-ce que cette binarité-là n’est pas de trop ?

Celles et ceux de la marge, singuliers personnages, qui vivaient se moquant de la norme, leurs sexualités autrement, après s’être douloureusement battus pour ça, singent à présent les structures bien sages de la société bourgeoise jadis honnie : mariages, foyer, enfants sont devenus leur crédo.

C’est leur droit, tout le monde a droit à tout, tout le monde veut être comme tout le monde.

Tout homme est un bourgeois, quoi qu’il dise ou fasse, prétendait le bourgeois.

Il avait raison. Tout homme aujourd’hui est un bourgeois, un bourgeois américain.


Mais, par ailleurs, tout en adoptant ses structures ancestrales, on conteste l’hétérosexualité dominante. On voudrait élever des enfants indéterminés qui choisiraient plus tard leur sexe, comme on choisit un costume qui nous va mieux dans la boutique des phantasmes.

Jusqu’à la possibilité d’être les deux et d’enfanter tout en restant mâle grâce à la chirurgie appropriée. Délire consumériste, qui, soi-dit en passant, remplit les carnets de commande des praticiens en même temps que leurs comptes en banque, cependant vécu comme un droit. Il faudra modifier en conséquence les catégories retenues par l’administration et en prévoir une pour le neutre, cette chose qui ne veut être ni l’un ni l’autre. C’est-à-dire personne. Certains pays le prévoient, d’autres y viendront, c’est dans la logique de ce nouveau monde irrésistible qui se constitue sous nos yeux se substituant à l’ancien. Délire consumériste qui ne veut plus reconnaître que le principe de plaisir, abandonnant sans regret celui de réalité.

Non seulement la vie semble plus facile à cette aune mais elle correspond à ce que souhaite tous les pouvoirs organisés : vivez vos folies « en liberté », nous nous occupons du reste : « panem et circenses », tous les chemins n’ont jamais mené qu’à Rome.

Liberté. Transgenre, refus de la binarité, LGBTQ +, tout est dans le plus. On peut tout faire !

On peut être ce que l’on veut, qui on veut, quand on le veut !


Manifestation - Tétu
Manifestation - Tétu

Génération capricieuse qui ne veut plus faire l’effort d’assumer une situation, un héritage, et d’agir en conséquence. Fuir. Ne plus se poser de questions. Assumer n’est plus au programme, à présent il faut « accepter », nettement plus simple ! Ainsi on coupe court à toute remise en cause, toute discussion contradictoire, tout souci de dépassement, de maîtrise de soi à partir du donné biologique et de ses représentations culturelles inscrites dans la psyché humaine tout au long de sa longue histoire qui se termine là, dans un nihilisme hédoniste ininterrompu.


Et l’on dit aujourd’hui « surpoids » plutôt que gros ou grosse et on nous serine partout que ces personnes peuvent bien être ainsi et heureuses de l’être. Je n’en disconviens pas, mais je n’en suis pas si sûr. Ce dont je suis certain c’est que la ferveur fortement médiatisée portant ce message est d’abord une astuce publicitaire pour tenir compte dans les collections des volumes à satisfaire, un marché à séduire. Ceci invitant à abandonner toute velléité de « sculpture de soi », tout douloureux questionnement sur nous-même, douloureux, certes, mais créateur de perspectives de plus haute ambition.

Ne plus souffrir. Chacun, chacune peut toujours faire quelque chose de ce qu’on a fait de lui ou d’elle. Il n’y a pas de fatalité. On ne veut plus l’entendre, hélas. On préfère se faire plaindre, changer, de sexe, de genre, repousser au loin la condition humaine et les représentations mentales qui ont prévalues en matière d’apprentissage de la vie en société. La loi, la règle, ce qui se fait, ce qui ne se fait pas. Représentations basées sur les figures construites et bien construites tant elles avaient fait leurs preuves, du masculin et du féminin. Je précise avec plaisir que j’ai connu des mères qui étaient des pères formidables et inversement. Les représentations dont je parle sont culturelles, indépendantes du sexe biologique qui lui n’est pas une image mentale mais un fait.

Décrier le genre humain, tout ce qui compte aujourd’hui dans la mouvance « progressiste » le fait. C’est une manière d’en finir avec les vieilles batailles qu’il a mené et avec elles ses manifs éculées, ses partis, ses glorieux faits d’armes, ses espérances dévaluées. L’attention pathologique portée aux « pauvres animaux » qui ont à présent des partis politiques pour porter leurs voix, témoigne de cette volonté de destituer l’humain, ce mauvais sujet de la création coupable de tous les maux. Le mouvement antispéciste dont procède cette mouvance est clair sur le sujet, lisez « La libération animale » de Peter Singer, c’est édifiant. Pour ce drôle de zèbre, il n’y a rien de choquant à tuer un nouveau-né (humain) malformé ou handicapé mental jusqu’à un mois après la naissance. Un animal en bonne santé, intelligent, vaut plus et mieux que cet enfant-là, assure-t-il.

Et jusqu’à ses plus belles productions, les plus nobles, qui subissent aujourd’hui les assauts d’une jeunesse affolée, que l’on a rendu telle, pour qu’elle contribue plus docilement, avec sa fougue et ses bons sentiments, à l’avènement d’un capitalisme, verdi à grand frais et qui fait feu de tout bois, si j’ose dire, en emplissant en hâte ses coffres de profits énormes provenant des ultimes ressources d’énergies fossiles, afin que rien ne soit perdu avant que la si désirable et inéluctable transition écologique ne soit achevée.

Une minute, permettez, je me souviens. Nous entrions au musée comme à l’église. Nous parlions à voix basse, contemplant ces œuvres admirables qui ont jalonné l’histoire des civilisations, grandeur et beauté s’y déployaient devant nos yeux ébahis, c’était un lieu sacré. C’est à présent un lieu où massacrer. Sous prétexte d’éveil des consciences, de jeunes imbéciles, insensibles à la culture, sauf peut-être à l’agriculture, tout à fait bio, vont par les musées cracher à la gueule de vénérables tableaux qui n’en pouvaient mais. Opposer l’Art à la vie ! Stupidité, décadence.


Miss-Tic
Miss-Tic

Et puis on éteint les lumières… Ô symbole ! Plus de villes-lumières, plus de néons éclatants, « Baudelaire, je pense à vous », comme dit Aragon dans les feux de Paris, « pleins feux sur l’univers moderne », non, terminé mon Cher Louis, aujourd’hui, la poésie, c’est hors de prix, il faut penser à l’économie, et l’économie aujourd’hui, s’accorde à l’écologie, c’est pour notre bien à tous.

Et puis ça distrait nos gamins et nos gamines qui vont par les rues, la nuit, traquer les lumières intempestives, geste citoyen responsable et engagé. Soit.

Alors voilà. Tandis que, venu des confins de Silicon Valley, où se concoctent désormais nos destinées sous l’œil électrique et néanmoins goguenard du Divin Inspiré répondant au nom parfumé d’Elon Musk, le Transhumain monte dans l’ascenseur jusqu’aux étoiles, nous autres humains, trop humains, en descendons par les escaliers de la sortie de secours, aussi discrètement que possible. Michel Foucault, qui n’est pas pour rien dans cette histoire, a pu bien « parier que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer, un visage de sable », il avait vu juste.


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Gilbert Provaux – Novembre 2022

(Photo de couverture : F. Seguin)

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