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NOCTURNE FRANÇAIS Derniers feux - Dernière partie

Retour à la Nature ?


« La vie est un beau risque à courir » nous dit Platon.

L’ambivalence est toute entière là.

La vie, une fois qu’on y est, on peut la trouver belle, n’empêche que c’est un risque. Et que toutes les sociétés les plus sécurisées du monde n’élimineront jamais le risque, objet de toutes les attentions des assureurs. Ne pas accepter le risque, ne pas vouloir vivre avec, le refuser à nos enfants, témoigne de l’affaiblissement de nos sociétés occidentales. L’enfant d’aujourd’hui est surprotégé. Quand on est pauvre, il ne faut surtout pas qu’il le ressente. Riche, on le met à l’écart dans des établissements confinés avec les siens. On ne veut pas qu’il participe à nos soucis. Il faut qu’il se confronte au réel le plus tard possible. Si le maître d’école lui fait une remontrance, il faut sanctionner ce maître. Les parents d’élèves, une plaie déjà de mon temps, mais aujourd’hui c’est pire.

Leur intrusion dans le processus éducatif, à coup de réactions émotionnelles disproportionnées, est catastrophique pour tout le monde et en particulier pour l’enfant qui, se sentant soutenu quoi qu’il arrive, ne se sent plus de limites. Les enfants sont nos idoles, tout doit leur être cédé. Comment enseigner autre chose que l’ignorance dans ces conditions ? Comment pourraient-ils grandir ? Trouver en eux-mêmes, avec l’aide du pédagogue, la force d’affronter l’existence et ses dures leçons. Comment faire quand on a été constamment traité en victime potentielle et écarté de tout risque, de toute contrariété ? L’état d’infantilisation permanente mise au point par nos sociétés occidentales n’est pas innocente, c’est tellement plus facile ainsi d’avoir des consommateurs dociles et empressés, aux réflexes conditionnés, qui répondent aux stimuli sans se poser de questions, qui aiment la nature parce que c’est bien et pas la politique parce que c’est mal.

Aujourd’hui, tout le monde veut être aimé et voudrait aimer tout le monde. Les parents, angoissés dès que leur enfant fronce un sourcil ou verse une larme ; les enfants, pour lesquels les aimer signifie leur faire la cour en permanence, à la maison, à l’école, dans les transports, partout. La planète entière mendie des « J’aime », cet idéogramme du pouce levé tant recherché. On ne lésinera pas sur les niaiseries sentimentales, l’impudeur des émotions répandues à flots intarissables, le sirop des lieux communs remis au goût du jour ; les désirs naïfs de paix, de vie douce dans une nature radieuse aux couleurs chatoyantes, chants des oiseaux ou de baleines en prime ; Un patron compatissant dans le cadre agréable d’un boulot épanouissant ; une famille humaine chaleureuse ; Ne pourrait-on se dire que ça y est, l’Empire du Bien triomphe ! Puisque tout le monde est animé des mêmes rêves… Sauf que, dans un même élan : imprécations, haines, rancœurs, menaces, harcèlements, injures, mensonges, ignorance crasse, se déversent à flux tendus quêtant aussi bien applaudissements et « J’aime »… Qui sait aujourd’hui ce que c’est que ça, « aimer » ? Qu’est-ce qu’aimer au XXIème siècle ? Aimer : distribuer et récolter des « J’aime » pour conjurer une solitude qui nous terrifie ?


Roland Topor
Roland Topor

Nous sommes seuls et nos efforts pour découvrir l’Autre peuvent être touchants. Ils sont pathétiques. Comme dans ce film de Spielberg « Rencontre du troisième type ». Il s’agit du « contact », c’est cela la fameuse rencontre. Celle-ci est double, entre un homme et une femme, puis entre des terriens et des « Autres » venus de loin les bras ouverts. On a envie d’y croire. « Nous ne sommes pas seuls » affirme la phrase d’accroche sur l’affiche du film. Bientôt contredit par une autre phrase d’accroche pour un tout autre film : « Dans l’espace, personne ne vous entend crier ». « Alien » de Ridley Scott. Certes, ce n’est pas qu’il n’y a vraiment personne dans ce cosmos si intrigant, et pour cause ! C’est que l’espace nous semble encore mieux que l’océan le monde du silence.


Rencontre du Troisième Type - S. Spielberg
Rencontre du Troisième Type - S. Spielberg

Le cri n’y existe pas. Cependant, la rencontre ici aussi aura bien lieu sur le mode du contact. Désastreux cette fois, la créature n’ayant rien de bienveillant. Mais elle est bien seule cette créature parasite qui nous renvoie à notre propre solitude dans un environnement inévitablement hostile. Car la nature est hostile à l’homme. Hostile, cela ne signifie rien d’autre que dangereuse, risquée, attirante et trompeuse à la fois. Termes d’homme projetés sur un sujet qui n’en est pas un. La nature n’est rien qu’elle-même, parfaitement indifférente à notre égard. Elle ne nous parle pas. Dame Nature, notre Mère la Nature, ne sont que des vues de notre esprit, des mots, de la poésie au mieux.


« 2001, l’Odyssée de l’Espace », Kubrick. Un de ces quelques films qui pourraient nous convaincre que le cinéma est un Art. Pour ma part, je l’accorde volontiers même s’il s’agit aussi d’une industrie et peut-être parce qu’il s’agit aussi d’une industrie. Mais ceci est une autre histoire. 2001 donc, encore un film américain… Eh bien oui ! Ambitieux, inspiré, un chef-d’œuvre ! Américain, certes. Universel. Dès lors qu’il est une œuvre d’Art. 2001, disais-je, la solitude de l’homme face à l’énigme de son apparition. De l’apparition de l’homme en tant qu’homme. Autrement dit, de la conscience. Face à ce monolithe noir plus noir que la nuit du cosmos, sans aspérité, perfection géométrique, abstraction matérialisée par un cerveau primitif qui poserait, hésitant, sa patte de singe en voie de dénaturation sur le panneau obscur d’une porte à la fois ouverte et fermée. C’est une énigme et c’est la naissance de l’intelligence en même temps que celle de la culture. Le singe se fait homme raisonnant, abandonnant la nature pour ne plus jamais la retrouver, encore moins y revenir. Tant pis pour les jérémiades actuelles que l’on dit écologistes. La patte de l’homme en devenir, sa main qui se précise, avec le pouce opposable, caresse éternellement avec volupté ce monolithe aussi lisse qu’un miroir dans lequel il ne se reflète pas. Son noir est mat, la lumière glisse dessus, rien n’y reste. Nul mécanisme, nulle issue. Tu n’es plus un singe, tu es un homme. Ton reflet, tu ne le verras jamais que dans le seul miroir où tu puisses te voir : la culture. Et c’est un miroir critique. Et tu es seul. Et tu sais que tu meurs.


2001, l'odyssée de l'espace - S. Kubrick
2001, l'odyssée de l'espace - S. Kubrick

La nature n’offre rien. Sa « générosité » ne s’exprime pleinement que lorsque l’humain intervient et la travaille. Le pain ne se trouve nulle part dans la nature, il faut travailler le sol, semer les bonnes graines et veiller à ce que les beaux et bons épis croissent protégés des nuisibles. Sans paysan, nous serions réduits à un stade que nous avons dû dépasser pour survivre et prospérer, celui des chasseurs cueilleurs. Sans vignerons, pas de raisins, de vignes, de vins capiteux. Il ne suffit pas d’un sol argileux bien exposé, il faut profiter de cette situation et travailler. Sur les animaux que nous avons domestiqués, il a fallu travailler aussi pour en faire des compagnons fiables, des aides précieuses et des aliments sains. Travailler comme aujourd’hui sur nos ordinateurs. Il a fallu faire venir de l’eau où il n’y avait rien naturellement par des canaux d’irrigation. Pour qu’un arbre donne de beaux fruits, il faut l’entretenir. Les vrais écologistes, ce sont eux, ces agriculteurs qui nourrissent les hommes. Entendons-nous bien : les agriculteurs dont je parle ne sont pas ces grands propriétaires fonciers qui n’ont jamais manié le moindre outil se contentant d’empocher les bénéfices. Pas non plus les industriels de l’agroalimentaire qui ne respectent rien de tout ça. J’entends juste rappeler aux jeunes peigne-culs citadins connectés qui aiment à prendre leur ration de verdure ou d’air marin le weekend que la nature n’est pas qu’un cadre où il fait bon se promener en toute sécurité. Pareil pour la mer. Les ressources marines, il faut aller les chercher et là aussi, travailler cette nature. Prendre garde à ne pas l’épuiser, à ne pas la polluer de toxiques, à la protéger, pour notre bien propre. Et ne pas abuser. Les marins pêcheurs le savent, les industriels s’en moquent.

Or, le système économique dans lequel nous vivons, mal pour beaucoup d’entre nous, a dévasté la planète. Sa logique sévit encore, impitoyable, et entend bien se perpétrer aussi longtemps que possible, sous la dénomination de « développement durable ». On va faire la même chose, ou à peu près, mais en vert. Et contre tout.


La jeunesse, naïvement, se méfiant de la politique, pense qu’il suffit d’exiger des Etats, quelque soit leur orientation, des mesures écologistes fortes pour « sauver la planète ». Ce ne sont pas ces mesures qui sauveront quoi que ce soit s’il n’y a pas une véritable révolution sociale d’abord, avec changement du tout au tout d’idéologie politique. Sauver la planète est un slogan idiot. Toute chose a un début et une fin dans l’univers. C’est nous que nous devons, non pas sauver, mais préserver dans tous les domaines, de la folie d’un système où prime un économisme suicidaire. Il faut préserver ce qui peut encore l’être et le préserver pour le plus grand nombre parce que nous sommes encore sur cette terre. En attendant de ne plus y être. Ni sur Terre ni ailleurs. Toute chose a un début et une fin dans l’univers, je l’ai dit.


Les multinationales, banques et autres puissances financières, qui sont maîtresses du jeu sauvent le monde à leur manière et pour leur propre compte. Les gouvernements sont leurs instruments à l’instar de leurs médias, internet compris. Leur idéologie domine la planète parce qu’ils sont justement les dominants. L’idéologie d’une société est l’idéologie de la classe dominante, répétons-le, ce bon vieux Marx l’a montré il y a beau temps. Et cette idéologie, faut-il insister, elle est présente partout aussi bien au moment des informations télévisées 24h/24, que lorsque l’on regarde une série, un film, qu’on circule sur internet, que lorsqu’on lit une revue, un bouquin dont tout le monde parle, etc. Ce que nous avons dans nos têtes ne vient pas de nulle part, n’est pas non plus le fruit du hasard ni d’une bizarrerie de nos neurones. Quand, soudain, au moins dans les pays occidentaux, mais c’est déjà le cas aussi ailleurs, tout le monde ou presque pense « écologie », tout en professant que c’est l’affaire de toutes et de tous, que ça va bien au-delà des notions politiques et qu’on entend montrer que l’économie peut s’adapter sans rien perdre de l’essentiel, à savoir le profit, voilà le résultat d’un bon boulot idéologique.


LicenceDR
LicenceDR

Connaissant ce mécanisme psychique de masse quasiment inconscient, d’autant plus insidieux que chacun s’en croit affranchi, nul ne doit s’étonner que la jeune Greta Thunberg, consacrée personnalité de l’année, soit admise aux plus hautes instances décisionnelles mondiales. Ses interventions, où prévaut une émotion naïve, est calibrée pour le jeu médiatique. A l’ONU, non plus qu’aux forums économiques où elle s’est produite, entre autres lieux où se rencontrent les puissants, nul scientifique de renom travaillant sur les questions climatiques n’a été admis à s’exprimer. Les propos d’une enfant au bord des larmes en appelant aux gouvernements de ce Monde est beaucoup plus vidéogénique qu’un homme de science scandant froidement les faits établis, irréfutables, établissant les responsabilités et exposant les solutions éventuelles, éventuellement pas au goût de ces gouvernements et de leurs maîtres. Cela permet aux « grands » de ce monde d’apparaître, visages graves, concernés, à l’écoute de la nouvelle génération et de ses préoccupations, dans l’attitude de bons pères de famille qui veulent tenir compte sincèrement de ce qu’ils entendent. Le Monde leur reviendra à ces gamins, ces gamines, on leur doit des comptes n’est-ce pas… Alors, invitons-les, écoutons-les, tançons-les à l’occasion, ils ne savent pas ce que c’est que diriger, et puis tout cela est complexe, mais on promet de bien faire. L’image est belle et ça, c’est l’essentiel.

La sincérité de l’action de la jeune Greta n’est pas à mettre en doute. Ce n’est pas ça le problème. Mais il ne faut pas oublier d’où vient le phénomène médiatique qui la fait exister aux yeux de la planète. Ce sont des adultes qui la portent sur le devant de la scène et ils n’ont rien d’innocents. Si elle peut accéder aux plus hauts interlocuteurs, c’est dû à la puissance des gens qui sont derrière elle et à celle de leurs réseaux. On connaît l’ami de la famille, Ingmar Rentzhog, créateur de la Start Up qui gère les plans de communication.


Dessin de Bidu
Dessin de Bidu

Il n’avait rien à voir avec l’écologie mais a senti le vent, si j’ose dire. Il a vendu ses anciennes entreprises pour se consacrer à ce nouveau domaine. Parcours identique pour le milliardaire suédois Sven Olof Persson qui a fait fortune sur le marché de l’automobile. Ces gens-là sont des spécialistes de la finance. Et là non plus, cela ne doit pas surprendre.


En effet, l’idée que l’écologie, bien comprise et bien appliquée, pourrait sauver à la fois la planète et le capitalisme à travers une social-démocratie mondialisée travaillant à la mise en place d’un « libéralisme vert », est la grande idée dont ils souhaitent ardemment la réalisation. Et voilà bien se qui est en train de se passer. Toutes les multinationales ont commencé il y a déjà plusieurs années à développer, dans leurs domaines respectifs, des options plus ou moins vertes, pour ne pas être en reste, pour anticiper la demande de verdure. C’est la raison pour laquelle les thèmes de l’écologie et ceux qui les portent ont, tout soudain, le vent en poupe. C’est le nouveau territoire du Capital et, logiquement, l’écologie se trouve de plus en plus déconnectée de son volet politique de transformation profonde de la société, notamment sa remise en cause de la notion de croissance pour envisager la décroissance comme voie possible pour sortir du productivisme et de la consommation à outrance. Et, il m’en coûte de l’écrire mais que voulez-vous, c’est tout moi ça, ce ne sont pas les rodomontades du nouveau fier à bras de EELV, Yannick Jadot, qui me paraissent de nature à stopper ce mouvement historique.


Au fond, il n’y a eu chez nous, qu’un seul écologiste véritable, René Dumont. Seule une écologie socialiste… Titre d’un de ses derniers livres. Cela va sans dire mais disons-le quand même, il ne s’agissait pas pour lui du Parti Socialiste, dont le socialisme n’a jamais été socialiste si vous voyez ce que je veux dire. D’une lucidité redoutable, conscient de l’état des lieux et des choses, des enjeux pour l’avenir des pays pauvres comme des pays riches, il savait indispensable qu’une lutte acharnée soit menée, aux plans politique et écologique de concert, contre un système capitaliste dont l’application rigoureuse nous a bel et bien entrainé où nous en sommes. Il avait désigné l’ennemi. Cet homme, ingénieur agronome qui sillonnait la planète de la Chine à Cuba en passant par l’Afrique, apportant son expertise aux populations démunies, travaillant avec elles pour remettre en place en les améliorant des structures agricoles adaptées, que les colonisateurs avaient détruite, avait bien gagné son surnom d’agronome de la faim. Il agaçait les pouvoirs locaux y compris quelquefois des dirigeants dont il était l’ami. Il agaçait et faisait sourire chez nous, tenant discours à propos d’un verre d’eau, annonçant les problèmes qui se poseraient aux générations futures à propos de cette ressource vitale. Et nous y sommes. A l’évidence, les écologistes à la mode de notre temps, capable de siéger dans un gouvernement de droite en toute innocence, avant d’en claquer la porte avec ou sans panache, en attendant ils auront été ministre, ne sauraient se réclamer de lui. L’écologie punitive disent-ils n’est pas leur fort. Si elle n’est pas punitive, que peut-elle bien être ?

Dire que nos sociétés ont perdu leurs repères, ou plutôt les ont sciemment sacrifiés sans toujours s’en rendre compte, est peu dire. Au-delà de la coupure épistémologique que constitue l’âge numérique, c’est à une mutation anthropologique à laquelle nous assistons. L’homo sapiens qui devait se rendre maître et possesseur de la nature est révoqué. Son mode de vie, de raisonner, d’évaluer, de procréer est bouleversé de fond en comble. L’image qu’il se renvoyait de lui-même est brouillée, son miroir est en miettes. Aveugle, il ne voit pas qu’il a marché dessus. Il n’est plus un homme, il n’est plus une femme. Les formes historiques ont été récusées. Le primat de sa conscience sur celle des animaux lui est même déniée. Son existence est ravalée à celle d’un animal nuisible qui doit s’amender et traiter les autres êtres vivants sur cette planète dont la possession lui est contestée, à égalité. Ce n’est pas l’objet d’un débat, c’est une injonction. Il y a désormais de jeunes censeurs qui veillent et sanctionnent. Un parti animaliste est crée prétendant faire droit aux revendications des animaux. Il recueille un certain écho dans la population gavée comme les oies, mais d’une mixture animalière de bons sentiments populaires, parfaitement conçus et ciblés pour que prospèrent les producteurs de nourritures pour vos amours zoo-domestiques et autres vendeurs de colifichets pour embellir la bête adorée aux réactions si… humaines, oh, oui, oui, si vous saviez ! Mais en mieux, hein, y a pas de calculs chez les bêtes, vraiment ! Alors, vous l’adoptez ? Regardez les yeux qu’elle vous fait ! C’est-y pas mignon ? Et propre avec ça !



Il n’y a pas que les animalistes, qui, soi-dit en passant, doivent, comme Tarzan mais sans ses prétentions junglo-monarchistes, parler couramment la langue animale afin de les représenter au mieux, nous avons aussi des anti-spécistes. Pour eux l’espèce humaine n’a pas à se prévaloir d’un statut privilégié. Il doit prendre conscience qu’il est un animal au même titre que les autres et ne doit donc pas faire souffrir ses frères, ne pas leur faire faire ce qu’ils ne veulent pas faire, ne pas les manger, que sais-je encore. L’indomptable Michel Onfray y souscrit. Lui qui fut fin gastronome, amateur de bonne chère, arrosée de château yquem, a dû sans doute revoir du tout au tout ses plaisirs culinaires. L’hédoniste reconfiguré suit ainsi les préceptes du chevelu Aymeric Caron, vegan de la première heure, qui l’a devancé sur ce chemin naturopathe.

Contemple, mon vieux camarade, mon vieux Friedrich, toi qui pointait en ton temps la détresse des modernes, la détresse des postmodernes. Voici la détresse du présent qui ne sait plus penser à hauteur d’homme. Encore moins de surhomme ! Nous voilà régressif au contraire, frère singe tends-moi la main que je remonte sur l’arbre ! Nostalgie du paradis perdu, ce sein maternel dont nous sommes chassés sans ménagement à l’issue d’un bail de neuf mois non renouvelable… Cependant, nous ne remonterons pas sur l’arbre, jamais. Nous ne retournerons pas dans le sein illusoire de la nature. La morale du renoncement que ces bonnes âmes nous enjoignent d’appliquer, propage la haine de soi. Ce sont les prêtres de la mauvaise conscience de l’Occident, à la même enseigne que tous ces regroupements hargneux descendants de populations ayant souffert persécutions et massacres et qui n’en finissent pas d’en demander réparation aujourd’hui à des nations qui n’ont plus rien à voir avec les exactions d’un passé lointain devenu de l’histoire. Leur esprit macère dans la mortification et le ressentiment, se complaisant dans un statut de victimes ancestrales. Pauvre héritage stérile qui refuse toute force créatrice de destin, accumule les archives, juge et condamne sans appel au nom d’une justice fantasmée à l’instar d’une érotique de la douleur. Morbidité dangereuse, graine d’inquisiteur pratiquant l’extermination du coupable avec la délectation du justicier honnête et droit qu’il voudrait être et qu’il n’est pas. Une victime ne peut pas rendre la justice.


J’aime la nuit pourtant.

C’est que cette nuit affligeante dont j’ai parlé, qui recouvre tout inexorablement, la nuit du temps présent n’est qu’une pauvre métaphore, pour dire mon désarroi devant ce qui se passe dans mon pays, là, ici et maintenant. Je distingue encore les maigres feux de camp des îlots de résistance. C’est une veillée d’armes dans un conflit littéralement asymétrique pour le dire comme aujourd’hui.

Les causes perdues ont toujours été les miennes. Je ne verrai sans doute pas se lever l’aurore que j’appelle de mes vœux. Se lèvera-t-elle jamais ? Je ne sais pas même vraiment à quoi elle ressemble. Sauf qu’elle est belle et que la beauté, les grecs qui savaient tout pour avoir tout expérimenté, savait cela aussi, est terrible.

La Sibylle peut bien oublier Enée dans son enfer. Chacun le sien où qu’on le situe. Il faut vivre avec, le forcer comme on forcerait une porte pour lui voler toutes les flammes vives de ses incendies, y forger nos armes précieuses, y souffrir les brûlures de la création de soi, sentir le désir se consumer et renaître d’un tas de cendres à un autre tas de cendres où couve toujours de vives braises. Et si on ne sait trop où cela se trouve, il faut interroger l’Océan qui est là depuis le début.

Ainsi que Maldoror l’a fait :

« Dis-moi donc si tu es la demeure du Prince des Ténèbres. Dis-le-moi… Dis-le-moi, Océan (à moi seul, pour ne pas attrister ceux qui n’ont encore connu que les illusions), et si le souffle de Satan crée les tempêtes qui soulèvent tes eaux salées jusqu’aux nuages. Il faut que tu me le dises, parce que je me réjouirais de savoir l’enfer si près de l’homme ».



Art By Sibylle Ruppert
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Gilbert Provaux

Février 2020

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