L’Empire du Bien a empiré. Tel était le constat de l’écrivain Philippe Muray en 1998. Depuis, c’est de mieux en mieux ou de pire en pire. Nous y sommes, y vivons, y souffrons.
En toute médiocrité, il n’y a pas plus simple : il n’y a plus que des bons et des méchants. J’ai choisi les méchants, vous ne serez pas surpris. Suffit les victimes ! Suffit les bons sentiments ! La pureté douteuse de votre yaourt « nature » ! La « Morale » à tous les étages avec l’eau, le gaz et l’électricité ! Et à tous les étalages chez les meilleurs commerçants ! Les leçons que l’on nous fait à longueur d’antenne, de câbles, d’ondes irrésistibles !
Les mômes, tiens, par exemple, les sacro-saints enfants, détenteurs es-qualité du savoir spontané des innocents. C’est qu’on leur demande d’ouvrir leur petite gueule bien formatée pour venir nous cracher à la figure en nous demandant des comptes que nous ne leur devons pas ! On ne leur doit rien à ces gosses idéalisés, surévalués, qui ne vont plus à l’école que s’ils le veulent bien et si les matières enseignées leur conviennent ! Une comédienne jadis charmante, rendue idiote aujourd’hui, s’emploie sur les chaînes publiques, à coup de spots publicitaires diffusés chaque soir ou presque, à nous seriner que les enfants d’aujourd’hui font le monde de demain et qu’en conséquence il faut les écouter. Dire quoi ? « Je voudrais que tous les autres enfants puissent se promener dans un beau jardin », « Je voudrais que tous, ils aient un gentil animal de compagnie », « je voudrais qu’ils ne souffrent plus des guerres », etc, etc.
Nous voilà rassurés !
L’avenir s’annonce sous les meilleurs auspices ! En attendant, un peu d’histoire nous montre ce qu’il en est des enfants d’hier devenus les hommes et les femmes d’aujourd’hui ! Le témoignage est éloquent ! Système économique globalisé, uniformisation des comportements, planète dévastée, conflits partout, fanatismes religieux ragaillardis, ignorance crasse, enfance sans éducation, inculte à tout point de vue, à la fois sacralisée et abandonnée à elle-même, à des caprices, à des exigences hyperboliques de consommation, dressée à l’achat compulsif dès avant la naissance, par des parents qui n’en sont pas, des éducateurs tétanisés à l’idée de contrarier le cher bambin, et qui, d’ailleurs, pourraient bien y laisser leur vie ; globalement, une société terrorisée par sa jeunesse, qui n’ose pas lui dire qu’à part le Centre Commercial, elle n’aura aucune perspective en ce Monde, toute dimension créative critique ayant été abolie pour la paix de l’esprit occidental devenu esprit universel. Si la jeunesse est difficile en notre temps, c’est le résultat de ce renoncement total à concevoir pour nous comme pour elle d’autres possibilités d’existence. Peut-être plus risquées, moins possédantes, mais plus exaltantes et surtout aux horizons ouverts d’une histoire toujours à faire, alors que l’histoire ici et maintenant est réputée terminée, refermée sur un devenir sans avenir. Ainsi que le rappelait le grand biologiste François Jacob, prix Nobel, au sujet de l’épuisante querelle de l’inné et de l’acquis, l’homme n’est génétiquement programmé que pour une seule chose : apprendre.
Il ne faut pas le frustrer de cette seule chose qui le fait, quelqu’effort que cela exige de lui et des autres. Ce n’est pas parce que ce serait facile que l’on serait plus heureux. A tout élève il faut un maître, un pédagogue, qui devra lui enseigner ce qu’il sait dans le but de l’aider à grandir, à s’affirmer, à développer ses neurones toutes neuves, ses forces intellectuelles et morales : ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, la connaissance des limites, leur juste évaluation, pour mieux, qui sait, s’en affranchir. Car on ne s’affranchit que des règles que l’on connaît. Aguerri, grâce à l’enseignement du Maître, ce sera à lui de jouer.
A défaut d’enseignement, il n’y a pas d’humanité possible.
Alors méchant, certes, je veux l’être lorsque je dis que plus personne ne sait lire. Que les jeunes rendus narcissiques à la folie, sont incapables de penser. La vue d’un livre leur est une torture, mise à part, peut-être la dernière sottise à la mode vantée par les réseaux dits « sociaux » et leurs « influenceurs ou ceuses » dont les médias, producteurs assumés de crétinerie généralisée, font grand cas évidemment.
Hélas, c’est là seulement qu’ils trouvent leurs éducateurs, ceux qu’ils agréent comme tels et le dressage se fait sans douleur dans le lit douillet de la niaiserie. Pas de congestion cérébrale à craindre par un exercice raisonné d’esprit critique. On leur dit : « trottinette », ils trottinent ! On leur dit Iphone, Ipad, tablette, instagram, facebook, snappchat ou hangout, ils y sont et pratiquent la chose avec jubilation, la jubilation de celles et ceux qui sont heureux de répondre correctement aux stimuli. Deux trois slogans lancés de bons endroits parés de générosité melliflue leur suffisent pour aller manifester où l’on souhaite les voir manifester, faire les gestes que l’on souhaite leur voir faire. Ainsi fabriqué, on les laisse exprimer leurs soucis de chlorophylle, même si leurs joujoux préférés produisent en grande quantité des déchets polluants…
Celles et ceux qui me connaissent un peu vous diront que je ne le suis pas, méchant. Pourtant, j’avoue que je finis par prendre du plaisir à exercer cette méchanceté, un plaisir qui ne rend pas heureux, à l’encontre de tant de bêtise consacrée, partout étalée, revendiquée, suivie scrupuleusement par des populations entières, désespérément moutonnières qui ne voient pas qu’elles sont manipulées à un niveau jamais encore atteint dans l’histoire ; toute cette hypocrisie laudative, ce mensonge gigantesque, cosmique, qui nous fait prendre nos vies illusoires de simples rouages économiques, pour la réalité d’une vie vraie dans le meilleur des mondes possibles.
L’Etat se désengage de tout. Quand vient la pandémie, il n’y a plus de lits disponibles, plus d’hôpitaux équipés, plus de laboratoires, plus d’usines, plus d’infirmières, plus de médecins suffisants selon les zones, plus de masques, plus rien. Il n’y a même plus de révolte qu’une telle situation justifierait. Alors, voilà nos gouvernants qui assurent qu’on va y arriver tous ensemble, en faisant les efforts qu’il faudra, que l’Etat soutiendra cet effort…
Tout soudain, le voilà qui trouve des milliards partout à distribuer alors que nous étions, juste avant, assommés de discours sévères nous répétant : « la dette ! », « la dette, vous dis-je ! », « allons, soyons sérieux, la dette ! », « pas plus de 3% du PIB, sinon c’est la catastrophe ! La dette ! »… Bégaiements d’experts, délire pathologique d’économistes hallucinés, d’autant plus atteints par la maladie mentale, que nous leur avons, en pensant à autre chose, laissé tout le pouvoir. Depuis, ils l’occupent avec délectation, sûr d’eux-mêmes et de leurs élucubrations.
Parce que tout le monde ou presque en est venu à penser dans les mêmes termes qu’eux. Puissance d’une idéologie devenue une seconde nature y compris pour ses opposants englués dans un jeu médiatico-électif où l’organisateur est le vainqueur à tous les coups. Ce jeu s’appelle « Démocratie » et le peuple, si cela existe, ne sera requis que pour y participer. Et cela s’est fait avec une facilité déconcertante. Celles et ceux qui récriminent, les quelques encore lucides, un passage devant les caméras les réduits au silence : ils sont « irresponsables », « asociaux », « ne pensent pas aux autres », « complotistes », « populistes », que sais-je encore, le langage des communicants est le seul qui vaille désormais ! Et tous ces termes sont ensuite dans la bouche de tout un chacun ! Et les malheureux mal-pensants d’hier battent leur coulpe sur la place publique.
L’Etat se désengage de tout, disais-je, sauf… Sauf de la pitié. Il faut voir ses représentant(e)s (excusez ! Paraît qu’on doit causer comme ça maintenant, all inclusive !) la larme à l’œil, annonçant des mesures mirifiques, des programmes jamais encore imaginés avec à la clé des milliards, encore (!), qui seront « injectés » où ça ? Dans des structures, des organismes « dédiés » qui seront mis en place demain matin, ou un peu plus tard, le temps de trouver les fameux milliards qui, de toutes façons vont s’évaporer avant que la moindre action n’ait été engagée. Car les milliards ne sont évoqués qu’à titre d’esbrouffe, pour impressionner le populo. C’est psychologique. Au fond, on sait bien que ce ne sont pas les milliards qui fondent une société humaine plus juste. Ils ne servent qu’à maintenir le système totalitaire du Capital en place.
Et puisqu’on y est, il faut penser aussi aux SDF quand l’hiver arrive, c’est saisonnier. Vite ! Les couvertures et le thermos de café pour l’infortuné emballé dans du carton recroquevillé sur la bouche de métro. Il ne devait plus y en avoir, dixit notre fringant président lors de sa campagne électorale. Qui pouvait croire ça, qui plus est lorsque l’on sait d’où nous est venu le bonhomme ? Alors le SAMU s’organise, patrouille. Les refuges sont débordés sous le nombre qui ne cesse de croître. C’est le temps des « banques alimentaires » à la sortie du supermarché où, jadis, l’Armée du Salut officiait en grand uniforme. Les Compagnons d’Emmaüs s’activent toujours régénérés par les folles années 1980-90. Abbé Pierre Superstar ! Comme en 54 ! Et puis Saint Coluche a mis sa notoriété et gouaille au service des malheureux, dans l’urgence, pour des « resto du cœur » évidemment, à votre bon cœur monsieur… Ces restos n’avaient pas vocation à durer, ils sont pourtant toujours là, croulant sous les demandes des pauvres gens toujours plus nombreux d’années en années. On s’y est habitué, on s’habitue à tout, même à l’insupportable. Nos bons vieux clochards d’antan seraient étonnés et Boudu, aujourd’hui, n’aurait pas été sauvé des eaux « glaciales du calcul égoïste » comme disait Karl Marx.
A présent, il faut l’admettre : des miséreux, il y en aura toujours. Trop faibles, inadaptés, pas qualifiés, sans ambition, mais ils ont le droit de vivre attention ! Alors vous autres là, qui vous en sortez mieux, à vos bourses ! Allons-y les gentils, on donne pour les pauvres, pour les malades aussi, c’est le téléthon qui nous vient d’Amérique ! Pensez-donc, la Terre promise des gentils, le pays de Dieu ! J’objecte qu’avec les impôts récoltés par l’Etat, une politique décente pourrait faire ce qu’il faut pour limiter autant que faire se peut la pauvreté dans mon pays, cinquième puissance économique mondiale et la troisième pour la force nucléaire. J’use et abuse de gros mots me fait-on comprendre aussitôt. Quoi, j’ai dit justice plutôt que charité ? Vous êtes vraiment répugnant, vous appelez au conflit, à la révolte permanente. Vous ne mesurez pas combien ce mot, justice, est agressif. Ce n’est pas un mot consensuel. Or, quoi de mieux que le consensus pour en appeler à la générosité des « particuliers » ? Tout le monde est concerné, il n’y a pas que l’Etat, il ne peut pas s’occuper de tout l’Etat ! Il est fini le temps de l’Etat protecteur, « Providence » disait-on. Les gens n’en veulent plus, ils veulent leur liberté, choisir « leur destin ». Ici, ailleurs, partout chez eux. Dans des pays moins corsetés, USA, Royaume-Uni, Singapour, Allemagne, Suède, Canada, Australie. Ils veulent pouvoir faire leurs courses à minuit au supermarché du coin aux caisses automatiques si pratiques, ou les faire le dimanche, pourquoi pas ? Veulent bouffer n’importe quoi, n’importe quand, n’importe comment, sans qu’on leur rappelle qu’il y a encore quelques lois sociales à respecter.
Les syndicats remuent toujours un peu, ultimes sursauts de moribonds auxquels on opposera tranquillement les soucis des commerçants pour leurs vitrines brisées lors des manifestations, ah, le doux commerce ! S’ils ne veulent pas comprendre, reste la Police qui ne manque pas de bras solides ni de volonté pour cogner les récalcitrants ou quiconque passerait par-là inopinément avec une gueule de danger public.
Les policiers ! Notre vieux fond anti autoritaire nous empêchait de les aimer, même si majoritairement nous reconnaissions que nous ne pouvions pas nous en passer. Et puis, certes brièvement, on a embrassé les flics à pleine bouche. Fini aujourd’hui ! Retour au statu quo ante ! Les pandores dépriment, se lamentent, eh oui, sale boulot… Ce sont des gentils pourtant ! Que feraient les gentils sans eux, pour se défendre des méchants ? Ces affreux jojos casseurs ; briseurs de vitrines insolentes, flambeurs d’automobiles et de poubelles, démolisseurs d’agences bancaires et, à l’occasion, conquérants d’arc de triomphe. D’authentiques méchants, comme ces autres-là, qui s’affublent de gilets jaunes pour qu’on les voit bien, d’autant plus redoutables qu’ils sont inclassables. Ils ne sont plus nulle part, où sont passés les jaunes ? Peut-être parce qu’ils sont encore partout comme la mauvaise conscience des gentils.
Peut-être ne sont-ils plus tout jaunes, peut-être ont-ils virés au noir,
formant ces blocs d’inquiétante obscurité, tour à tour trou noir, horizon infranchissable et ligne de fuite ?
En attendant, quoi ?
Je vous le demande ! En attendant, nous voilà coincé entre la guimauve dégoulinante et la matraque jamais autant brandie, menaçante, qu’en nos pauvres jours où vivre nous est refusé… Pour notre bien !
Un Comité Scientifique veille, que personne n’a élu. Mais c’est ainsi que l’on gouverne aujourd’hui : plus de politique, des experts !
Comme dans n’importe quelle entreprise ! Nous avions sur le dos les zéconomistes, avec un grand Z, nous voici alourdi des docteurs Mabuse de tout acabit !
Regardez-les, se complaisant sur les plateaux télé, devant les micros de nos beaux journalistes, tous plus indépendants les uns que les autres. Regardez-les, enfin sortis de leurs laboratoires, hôpitaux, instituts et autres officines, venir nous jouer la grande scène de la science pure qui ne nous veut que du bien ! Regardez-les se creuser les méninges pour nous faire admettre de nous tenir tranquilles et obéissants sous le poids écrasant mais bienveillant du Savoir ! Car ils prétendent savoir. Femmes et hommes de science, voilà qui vous pose ! Savoir quoi ? Mais rien ! Pourquoi faudrait-il savoir quelque chose ? Savoir se suffit à soi-même. Fameuse science dites « dures » versus sciences « molles » ? Tout cela est grotesque et pourrait amuser le populo s’il n’en allait pas de nos vies. Ces crétins surévalués ne sont là que pour justifier l’impéritie de nos gouvernants, tous nos gouvernants, ici en France et partout ailleurs.
Ils ne font aucunement de la science, ils font de l’idéologie. C’est pourquoi ils disent et se contredisent. Ils se sont affranchis du devoir de vérité parce qu’ils servent un système qui les a bien servis et qu’ils se doivent de défendre, la rage au ventre. C’est pourquoi, face aux controverses, face à d’autres scientifiques, souvent plus éminents et compétents qu’eux, ou du moins plus honnêtes, qui viennent les contredire, ils s’érigent en directeurs de conscience, menaçants, ostracisant, condamnant en poussant des cris d’orfraie portés par des médias toujours dociles. Et puis l’on fait donner les puissants Ordres de la profession, retrouvant soudain leur lustre pétainiste, blanchis à la mode de la marine selon le principe « peinture sur sale égale propre », pour excommunier ces hérétiques et les traîner devant les juges. Relisez « Soumission à l’autorité » de Stuart Milgram. L’expérience qu’il décrit, c’est notre vie maintenant, soumise à l’autorité indiscutée de ceux qui font profession de science. Nous n’avons plus rien à dire, plus à protester, ça tombe du Ciel du Savoir sur nos pauvres caboches ignares. Alors, à genoux !
Aujourd’hui, la génuflexion est très tendance. Bientôt sous nos vêtements, le port du cilice sera recommandé sinon exigé. Que c’est beau un peuple à genoux qui demande pardon, aucune église n’eût espéré le voir un jour ! Des manifestants, singeant nos maîtres américains, qui eux savaient pourquoi ils le faisaient, se sont agenouillés, les flics devaient en avoir des frissons de contentement. Pour ce qui me concerne, j’honore les hommes et les femmes debout, y compris et surtout dans les luttes à mener pour une vie digne. On ne quémande pas, on n’implore pas je ne sais quelle autorité céleste ou séculaire, on se bat, on conquiert. Mais non, aujourd’hui, on se plie, on larmoie et on exsude la haine, le ressentiment à l’encontre principalement du passé que l’on ne comprend plus, que l’on ne veut plus comprendre parce que c’est difficile d’assumer et infiniment plus facile de condamner. Haro sur l’Histoire donc ! Pratiquons enfin l’anachronisme vengeur ! Ce n’est pas pour rien que les fictions uchroniques, diachroniques, dyschroniques, dystopiques, etc, ont tant de succès de nos jours. Et que tout soit ponctué par l’inévitable « I’m sorry » décliné dans toutes les langues colonisées.
Notre vieux fond culturel gaulois, impertinent et moqueur, est voué aux gémonies. Notre haute culture, nos audaces conceptuelles, nos controverses dans tous les domaines, ce goût pour la provocation créatrice, la mise sur le gril des pensées convenues, notre bon vieil esprit critique et contestataire pour tout ce qui est réputé de « bonnes mœurs », tout cela doit être renié. Une hystérie puritaine s’est abattue sur nous qui nous vient d’Amérique et nous livre pieds et poings liés, bouches cousues, à tous les moralismes religieux en justifiant, au passage, les pires fanatismes meurtriers, lesquels se sont exprimés à pleine puissance à travers les tueries islamistes. Je rappelle au passage qu’après celles de 2015 en France qui a vu le massacre de la Rédaction de Charlie Hebdo, le président américain Obama, c’eût été un autre c’eût été pareil, s’est bien gardé de venir défiler avec ses homologues lors de la grande manifestation de soutien organisée par le gouvernement français. C’est que pour ces anglo-saxons, qui jurent sur la Bible, la sanction pour blasphème est licite et que notre laïcité, que nous pratiquons seuls dans le Monde, est insupportable et incompréhensible. Et que dire de leurs féministes tellement pointilleuses aujourd’hui, à l’affût du moindre geste déplacé d’une main d’homme ou d’un mot de trop d’une bouche du même, qui considèrent que l’interdiction du port du voile islamique est une atteinte intolérable au droit des femmes ? Alors que des milliers de femmes en terre d’islam et ailleurs, se rebellent, se démènent, vont en prison, sont torturées, violées, justement pour ne plus avoir, entre autres choses, à le porter ! Beau soutien de l’Occident et du « Pays de la Liberté » !
Nous vivons une triste époque. Une époque visant à toujours plus de médiocrité. L’idéologie d’une époque est l’idéologie de sa classe dominante et la classe dominante est américaine. Et la médiocrité afflue : des Trump, des Macron, des Boris Johnson, des Merkel, des Sarkozy, Hollande et consorts, des Bolsonaro, des Savini, et je ne m’en tiens qu’au landerneau politique… Les « artistes » sont insipides, la plupart incultes croient à chacune de leurs interventions avoir inventé la roue. Ou bien ils sont timorés, n’osant pas aller à contre-courant. Avançant quelque proposition hardie, les voilà qui reculent, confus, s’excusent platement, ils ne voulaient choquer personne, excusez-moi, pardon, vraiment je ne savais pas… Et l’on s’indignait, naguère, des folles autocritiques auxquelles se livraient les savants soviétiques en URSS ou encore les intellectuels au pays du Grand Timonier !
Le langage est retouché, simplifié, y compris la langue anglaise muée en sorte d’espéranto accessible à tous et en particulier aux entreprises où de jeunes peignes culs fiers de leur prouesse ânonnent du « globish » en toute occasion. Que surtout, on ne les soupçonne pas d’être français, ah s’ils avaient pu naître à Londres, à New-York ou à Singapour, voire Sydney ! Un langage que certain(e)s (all inclusive toujours…) s’emploient avec enthousiasme à rendre illisible sous prétexte d’égalité homme-femme. Crétinerie, abêtissement hégémonique… Quel grand écrivain, mâle ou femelle, aurait pu produire une œuvre digne de ce nom avec un tel sabir ?
Aucun. Mais la question n’est pas là. Il faut que personne ne se sente exclu. Que la personne le soit n’est pas problématique, ce qu’il faut éviter c’est qu’elle se sente exclue. Que le niveau général baisse, peu importe il y a des élites qui suffisent à une bonne gestion des sociétés humaines. Mais pour les autres, le nivellement doit être le plus égalitaire et bas possible. Démocratie victimaire toujours à vocation charitable et but humanitaire. Amen. Larmes, bougies, marches blanches, lamentations, paroles empathiques sont autorisées et même encouragées. Rappels d’un passé vivant, d’une langue charnue pour des mots crus qui claquent dans le vent goguenard des révoltes et la bourrasque violente des révolutions, revendications libertaires, pratique d’une liberté non surveillée, rigoureusement interdits. Et d’ailleurs, déplacés : croyez-vous que ce soit le moment alors que l’épidémie fait rage, asociaux que vous êtes, inconscients qui ne pensez qu’à vous !
Il s’agit de se donner bonne conscience.
Et que le troupeau n’aille pas s’égailler hors des sentiers battus.
Et l’on appelle à la délation, on s’informe des pratiques les plus intimes, on exige des comptes, de la transparence, on scrute, on exhibe, on alerte, on crie « au loup ! », en mesure, comme il se doit, on est « citoyen », on menace, on sanctionne sur la seule base de la rumeur et la dénonciation se suffit à elle-même : tu es dénoncé donc tu es coupable, tu dois être déchu socialement, socialement détruit sur la place publique. Je dois souligner ici que, contrairement au droit français qui s’honore de la présomption d’innocence où la charge de la preuve est à l’accusation, le droit américain ignore toute présomption d’innocence et met donc la charge de la preuve sur l’accusé ! Ainsi vous accusez votre voisin de vous avoir volé, ce sera à lui de faire la preuve qu’il ne l’a pas fait ! C’est totalement effrayant et s’il y en a encore qui lisent Kafka, je les renvoie au « Procès »… Et ceci explique beaucoup de choses sur la manière dont réagissent notamment les réseaux sociaux, tous de culture anglo-saxonne ou assimilés, dans leurs fièvres pathologiques accusatrices et culpabilisantes.
Dans la préface qu’il rédige en 1946 à l’occasion de la réédition de son « Meilleur des Mondes », Aldous Huxley écrit : « Un état totalitaire vraiment efficient serait celui dans lequel le tout puissant comité exécutif des chefs politiques et leur armée de directeurs auraient la haute main sur une population d’esclaves qu’il serait inutile de contraindre, parce qu’ils auraient l’amour de leur servitude. La leur faire aimer, telle est la tâche assignée dans les Etats totalitaires d’aujourd’hui, aux ministères de la propagande, aux rédacteurs en chef de journaux et aux maîtres d’école ».
En sommes-nous si éloignés ? N’avons-nous pas de puissants comités très au-dessus de nos têtes qui décident pour nous ?
N’avons-nous pas d’innombrables directeurs de quelque chose pour nous encadrer ?
Et pour finir de nous convaincre tout à fait gentiment, n’avons-nous pas des ministères entièrement régis et en toute légalité, par des agences spécialisées dans la « com » ? Et nos saints journalistes, avec ces « informations » en continu qu’ils nous assènent sans répit et qui s’apparentent à de véritables lavages de cerveaux , ces plateaux TV où siègent en permanence et pour certains depuis des décennies, toujours les mêmes « analystes maison » amoureux transis des pouvoirs et de l’argent, ces pseudo-experts en tout et n’importe quoi, ces économistes bidons sortis des mêmes tonneaux libéraux, qui furent parfois aussi chef d’entreprise, que font-ils d’autre que de nous « bourrer le mou » ?
Que de nous baver à longueur d’antennes, de câbles, de fibres, les identiques messages de bienfaits et d’obéissance, de respect absolu dû au seul système qu’ils puissent concevoir parce qu’il est fait pour eux, pour leur médiocrité, leur veulerie, salariés qu’ils sont de multinationales obscènes. Multinationales qui commandent aux gouvernements et envers lesquelles leur soumission rigoureuse n’est plus à démontrer ! Car ceux qui commandent vraiment en ce Monde ne sont pas « élus », qu’ont-ils à faire du vote populaire ? Rien du tout. Puisqu’ils détiennent la réalité du pouvoir.
Et puis les maîtres d’école. Huxley les cite parce qu’à l’époque, ce sont eux qui sont au contact d’une jeunesse qu’ils forment et déforment le plus souvent pour leur apprendre à vivre en honnête homme, bourgeois hypocrite respectueux de la Loi. Aujourd’hui, ils n’y sont plus pour grand-chose. Ils seraient même plutôt contestataires. Ce sont les médias et les réseaux sociaux qui forment et déforment la jeunesse. J’en ai parlé plus haut dans ce texte ici et ailleurs.
De nos jours, lorsqu’on se souvient de l’esclavage, de l’oppression, du racisme, on se tourne vers le passé. Mais comme les tortionnaires sont morts, on demande des comptes aux vivants : faut s’excuser, et parfois payer en monnaie sonnante et trébuchante. C’est un principe. Et si tu rechignes au nom du fait que tu ne saurais être tenu pour responsable d’exactions commises il y a des siècles, dans une réalité différente qui, à l’évidence, n’était pas la tienne, et qui, de surcroît, n’a plus cours aujourd’hui, tu seras conspué par une population mondialisée de justiciers auto-proclamés qui n’auront de cesse d’avoir anéanti, a minima, ton existence sociale. Se posera aussi, chez ces gens-là, dans leur noble fureur, la grande question : où sont les statues à déboulonner ? Car on peut exercer sa rage justicière, à défaut d’autres choses, sur les pierres ou le bronze, ce sera déjà un motif de satisfaction ! Ôter du paysage le personnage honni ! Sans jamais s’interroger sur le pourquoi, le comment, l’origine de cette statue, sa valeur historique ou même sa valeur artistique ! Mon Dieu, auquel je ne crois pas, quel mauvais sujet je fais !
Et je vais enfoncer le clou. En matière d’objets à détruire, j’ai des idées moi-aussi. Et ce ne sera pas la statue de Louis IX, alias Saint Louis, qui trône encore paraît-il au palais Bourbon, si j’en crois les propos indignés d’un de nos hommes politiques, tribun redoutable à l’occasion aux yeux des nains d’aujourd’hui, qui appelait à ce qu’on la sorte du lieu où elle n’avait rien à faire. Certes, les débats de l’assemblée populaire se déroulant sous le regard marmoréen d’un de nos anciens rois, dont le lointain descendant a connu le tragique destin que l’on sait, ce n’est pas du meilleur goût. Mais l’homme politique en question en a mis du temps à s’en aviser ! Peut-être que l’air du temps qui baigne de potentiels électeurs tombeurs de statues lui aura servi de révélateur…
Quoi qu’il en soit, si l’on veut absolument suivre cette logique colérique radicale, ce n’est pas la statue qu’il faut virer, c’est tout le bâtiment. Dynamiter l’Assemblée Nationale ! Rejouer le geste libérateur de l’anarchiste bien nommé, Auguste Vaillant, le 9 décembre 1893, qui lança sa bombe à clous en pleine assemblée, vers les bancs du gouvernement, blessant au passage plus ou moins gravement plusieurs députés, et se blessant lui-même. Bien qu’il n’y eu pas de morts, il fut condamné à la peine capitale et exécuté en dépit d’une pétition, lancée par un abbé, député, lui-même blessé par la bombe et qui pourtant demandait la grâce du condamné. Je le salue comme je salue Vaillant ! Et je salue au passage Séverine, cette femme formidable, première grande journaliste féminine et féministe, qui dirigea avec Jules Vallès « Le Cri du Peuple » et écrivit, après l’attentat de Vaillant, « Avec les pauvres, toujours, malgré leurs erreurs, malgré leurs fautes, malgré leurs crimes ».
D’autres lieux pourraient être visés : la Bourse, l’Elysée, le Sacré Cœur. Cette basilique aussi blanche que fut rouge le sang des insurgés de la Commune dont elle prétend effacer le souvenir ! Il y a cent cinquante ans cette année, la Commune… Les Communards n’en avait rien à secouer de l’Assemblée Nationale vite repliée à Versailles avec le gouvernement légal à défaut d’être légitime et dont l’aile gauche les trahissait consciencieusement en pactisant avec l’infâme Thiers, un Adolphe, déjà ! Cette gauche prête à tout les compromis, la gauche-montgolfière de Gambetta, qui en rappelle bien d’autres de gauches « respectueuses » comme disait Sartre, ironique. Les Communards, il faut le savoir, n’étaient pas à gauche, ils se définissaient comme socialistes révolutionnaires. Le moulin à paroles, comme disait Lénine, du Parlement ne les concernait pas. Et lorsqu’un Delescluse se référait à une assemblée, il s’agissait d’évoquer l’assemblée révolutionnaire de 1793, la Convention Montagnarde. Les autres étaient affiliés à la 1ère Internationale des Prolétaires, d’autres encore s’honoraient du beau titre d’anarchistes. Et le peuple des gueux eut voix au chapitre.
Face à tout ça, que peut le méchant homme ?
Isolé, il fait profil bas ou le dos rond, il écrit ses petites chroniques rageuses dans son coin. Tout en restant à l’écoute. Car il croit savoir qu’il en existe d’autres de méchants hommes et sans doute aussi, il l’espère, de méchantes femmes. Toutes et tous plus jeunes que lui, plus folles, plus fous, plus forts, plus fortes, celles-là, ceux-là, sont porteurs d’un avenir qui ne renie rien du passé, au contraire, qui seraient capables d’assumer la puissance, le risque, la peur au ventre mais le courage au cœur, pour réinventer une vie digne d’être vécue.
Poursuivre l’aventure humaine enfin dégagée de l’ornière, brisant le mur de cette impasse lénifiante dans laquelle nous croupissons depuis trop longtemps.
Réapprendre à montrer les dents, pour rire, pour mordre.
Gilbert Provaux
Février 2021
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