Et jusqu’à la brisure, ô comme j’ai vécu !
Jadis couvert des cendres de lentes combustions
D’où, levées, des fumées me portaient aux songes
Mortifères vapeurs d’enveloppes funèbres,
L’enfant enseveli
C’était en moi jours gris
Longs jours mauvais de l’âme
Que les soleils ni l’azur, ô Méditerranée, ne menaient à la joie
Comment l’auraient-ils pu ?
La mère survenue
Après moi ce mystère
Adoré qui est tout
Ce qui aime et qui ment
Les pères inutiles
Amants de complaisance
Contingences du sexe
Et les frères et les sœurs
Tout ainsi engendrés
A mes yeux et mes bras
Toute une destinée
Marseille se jouait
De moi en son théâtre
Marseille au rire faux
Aux grasses cruautés
Dites avec l’accent
Atroce, suffisant
Moi, je rêvais d’ailleurs
De lugubres demeures
Seuls reliefs sur la steppe
Sépulcres d’un fantôme silencieux et hautain
Tout au Nord
Les cieux nuancés et sauvages
Se couchaient sur des landes anciennes mouvantes, désertées,
Hérissées de rocs tranchants
Et de réminiscences
En moi, montaient les marées d’équinoxe
Menaçantes, inconnues,
Qui déferlaient sous les remparts bleuis de palais enchâssés dans les chaos de pierre
Ils résistaient pour moi
Pour que je les connusse avant qu’ils ne périssent
Engloutis dévastés
J’entendais la musique de ma généalogie estropiée
C’était mon historique Vouloir,
Celle-là même de ces territoires cachés au fond de ma tête
Je l’entendis en ce temps-là, vibrante, réelle, incarnée
La symphonie de ma race, l’hymne de mon sang,
A moi seul révélée
Un pays existait pour moi seul
Revenu d’entre les morts
Avec ses cohortes tragiques de dieux défigurés, de guerriers trahis,
Ses peuples d’hommes rudes, innocents comme des vagues, graves, n’osant parler
Aussi : de joyeux danseurs sur les talus au bras des sorcières rondes et rousses
Aussi : dans la forêt, puis sur les rivages, vers les îles tournoyantes, la mélancolie des fées, la plainte misérable des marins naufragés
Aussi : le paradis et l’enfer inscrits dans l’éphémère, tout proche, entre l’auberge et le cimetière
Aussi : l’Enchanteur malicieux sous l’habit de grand-père, chimérique passeur dont la pipe cassa sous le pied du corsaire
Tout était là pour moi
J’ai tout pris, j’y suis encore où que l’on me croit.
Mais j’appelais des chevauchées de garces
Elles vinrent sans coup férir
Je les fuyais d’autant
Sur des vaisseaux percés qui sombraient aussitôt
J’échouais sur des cailloux
Léchais mes plaies au hasard vide des rues
Trouvais vierge la forêt
Eglise sous le manteau
Epanchais mon cœur à ras bord du calice
Débordant bientôt en fiévreuse cascade
Rouge dans la pierre verte
Sombre des ténèbres enclos
Il n’est pire noirceur que sous ce soleil faux !
Recroquevillée, glacée, battue par le Mistral
Marseille ne retient personne
Ses yeux crevés flottent sur la mer
Cependant qu’elle rumine ses humeurs mauvaises
Elle a le foie rongé.
Partir.
Ne pas parler, ne rien dire
Qui pourrait entendre ?
Partir.
Sous les masques et les costumes
Passer inaperçu en attendant.
Avec le feu qui habite mes lèvres, Paris m’appela.
Lutèce Borgia dans sa tenue de Seine
C’était toi enfin !
Qui me croqua à belles dents, vois la marque sur mon flanc,
A forme de cœur mordu
Ma liberté !
Libre ! Libre à me croire tout permis !
« J’aime qui m’aime » me répétait avant le déluge Sylvie
Ô belle femme morte, c’était donc Paris…
Immédiate
Sans leurre, sans histoire
Dans ses rues, ses boulevards
Où tout l’humain converge, où tout fut inventé
Dans les cieux de tes yeux d’ambre gris
Nul Saint Pierre, nul Vatican
Un peuple, son insolence et sa Notre Dame
La Seine mieux que le Tibre, Rome destituée
Paris, Ville Eternelle proclamée !
Ô comme j’ai vécu !
Ô comme j’ai aimé dans cette ville !
Hélas, ne me vaut rien l’éternité
Et, comme un bonheur, l’éphémère jouissance a passé
En mon âme, toujours tourne à vide
L’incommode moteur d’une absurde mécanique
Qui enregistre des souvenirs
Et les projette transfigurés
Sur le linceul tendu aux quatre points de mon absence
Tout revient tel qu’il fut, pas d’échappatoire.
Le nouveau et l’ancien s’annulent dès qu’on accoste
A tes interminables quais
Oublieuse Marseille
Je suis revenu là, que t’importe ?
Escale de hasard
Tous tes coqs de village paradent vers midi aux terrasses bouffonnes
Chacun revendiquant être ton maquereau
T’avoir mise au tapin et vivre sur ton dos
Toi, ma Latine
Ma Beauté Antique
Ma Mélina, ma Grecque
Mon arabe enlevée de l’islam
Toi que lasse la Provence
Ma Volage impossible
Drapée dans ta superbe
Impitoyablement
Laisse-moi seul, paisible,
Finir en toi ma course
Sur un bout de corniche
Comme toi, sans faillir
Contempler sans rien dire
Par-delà les paupières
De l’instinct et du doute
Closes comme un vieux coffre
Les horizons lointains
Mystérieux et vains.
Gilbert PROVAUX - Juin 2012
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