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"Marseille - Paris - Marseille"

Dernière mise à jour : 27 oct. 2019


Et jusqu’à la brisure, ô comme j’ai vécu !

Jadis couvert des cendres de lentes combustions

D’où, levées, des fumées me portaient aux songes

Mortifères vapeurs d’enveloppes funèbres,

L’enfant enseveli

C’était en moi jours gris

Longs jours mauvais de l’âme

Que les soleils ni l’azur, ô Méditerranée, ne menaient à la joie

Comment l’auraient-ils pu ?


Caspar David Friedrich

La mère survenue

Après moi ce mystère

Adoré qui est tout

Ce qui aime et qui ment

Les pères inutiles

Amants de complaisance

Contingences du sexe

Et les frères et les sœurs

Tout ainsi engendrés

A mes yeux et mes bras

Toute une destinée

Marseille se jouait

De moi en son théâtre

Marseille au rire faux

Aux grasses cruautés

Dites avec l’accent

Atroce, suffisant



Moi, je rêvais d’ailleurs

De lugubres demeures

Seuls reliefs sur la steppe

Sépulcres d’un fantôme silencieux et hautain

Tout au Nord

Les cieux nuancés et sauvages

Se couchaient sur des landes anciennes mouvantes, désertées,

Hérissées de rocs tranchants

Et de réminiscences

En moi, montaient les marées d’équinoxe

Menaçantes, inconnues,

Qui déferlaient sous les remparts bleuis de palais enchâssés dans les chaos de pierre

Ils résistaient pour moi

Pour que je les connusse avant qu’ils ne périssent

Engloutis dévastés

J’entendais la musique de ma généalogie estropiée

C’était mon historique Vouloir,

Celle-là même de ces territoires cachés au fond de ma tête

Je l’entendis en ce temps-là, vibrante, réelle, incarnée

La symphonie de ma race, l’hymne de mon sang,

A moi seul révélée


Un pays existait pour moi seul

Revenu d’entre les morts

Avec ses cohortes tragiques de dieux défigurés, de guerriers trahis,

Ses peuples d’hommes rudes, innocents comme des vagues, graves, n’osant parler

Aussi : de joyeux danseurs sur les talus au bras des sorcières rondes et rousses

Aussi : dans la forêt, puis sur les rivages, vers les îles tournoyantes, la mélancolie des fées, la plainte misérable des marins naufragés

Aussi : le paradis et l’enfer inscrits dans l’éphémère, tout proche, entre l’auberge et le cimetière

Aussi : l’Enchanteur malicieux sous l’habit de grand-père, chimérique passeur dont la pipe cassa sous le pied du corsaire

Tout était là pour moi

J’ai tout pris, j’y suis encore où que l’on me croit.

Mais j’appelais des chevauchées de garces

Elles vinrent sans coup férir

Je les fuyais d’autant

Sur des vaisseaux percés qui sombraient aussitôt

J’échouais sur des cailloux

Léchais mes plaies au hasard vide des rues

Trouvais vierge la forêt

Eglise sous le manteau

Epanchais mon cœur à ras bord du calice

Débordant bientôt en fiévreuse cascade

Rouge dans la pierre verte

Sombre des ténèbres enclos

Il n’est pire noirceur que sous ce soleil faux !


Recroquevillée, glacée, battue par le Mistral

Marseille ne retient personne

Ses yeux crevés flottent sur la mer

Cependant qu’elle rumine ses humeurs mauvaises

Elle a le foie rongé.

Partir.

Ne pas parler, ne rien dire

Qui pourrait entendre ?

Partir.

Sous les masques et les costumes

Passer inaperçu en attendant.

Avec le feu qui habite mes lèvres, Paris m’appela.

Lutèce Borgia dans sa tenue de Seine

C’était toi enfin !

Qui me croqua à belles dents, vois la marque sur mon flanc,

A forme de cœur mordu

Ma liberté !

Libre ! Libre à me croire tout permis !

« J’aime qui m’aime » me répétait avant le déluge Sylvie

Ô belle femme morte, c’était donc Paris…


Immédiate

Sans leurre, sans histoire

Dans ses rues, ses boulevards

Où tout l’humain converge, où tout fut inventé

Dans les cieux de tes yeux d’ambre gris

Nul Saint Pierre, nul Vatican

Un peuple, son insolence et sa Notre Dame

La Seine mieux que le Tibre, Rome destituée

Paris, Ville Eternelle proclamée !

Ô comme j’ai vécu !

Ô comme j’ai aimé dans cette ville !

Hélas, ne me vaut rien l’éternité

Et, comme un bonheur, l’éphémère jouissance a passé

En mon âme, toujours tourne à vide

L’incommode moteur d’une absurde mécanique

Qui enregistre des souvenirs

Et les projette transfigurés

Sur le linceul tendu aux quatre points de mon absence

Tout revient tel qu’il fut, pas d’échappatoire.



William Blake

Le nouveau et l’ancien s’annulent dès qu’on accoste

A tes interminables quais

Oublieuse Marseille

Je suis revenu là, que t’importe ?

Escale de hasard

Tous tes coqs de village paradent vers midi aux terrasses bouffonnes

Chacun revendiquant être ton maquereau

T’avoir mise au tapin et vivre sur ton dos

Toi, ma Latine

Ma Beauté Antique

Ma Mélina, ma Grecque

Mon arabe enlevée de l’islam

Toi que lasse la Provence

Ma Volage impossible

Drapée dans ta superbe

Impitoyablement






Laisse-moi seul, paisible,

Finir en toi ma course

Sur un bout de corniche

Comme toi, sans faillir

Contempler sans rien dire

Par-delà les paupières

De l’instinct et du doute

Closes comme un vieux coffre

Les horizons lointains

Mystérieux et vains.











Gilbert PROVAUX - Juin 2012



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