Ô Maître François
Vos Dames du temps jadis échauffent mes instincts !
Homme de rien, j’aime les Reines
Pour vous voici les miennes
Fors du mien, âge médiocre,
De tout les Temps :
A l’aurore rose passé le Tigre
Plane sur le limon carmin
L’efflorescence vaporeuse des jardins
Que le soleil montant majestueux et doux
Caresse de ses rayons nacrés
Précédée d’eunuques, suivie de farouches vierges
Altière et dévoilée s’avance Sémiramis Phoenix de Babylone
Souveraine absolue moquant l’audace de Nemrod
Ruinée parmi les blocs épars de la ziggourat foudroyée
Son front bruni envisage le Sud
Là-bas, le Golfe et Bassora
Dans le lointain les fleuves en parallèle
S’unissent à la mer
Sa sœur de sel de sable et d’eau
Entend ce front têtu d’amour total
Et, Elle, toute de mélancolie fluide
Sourit, perdue en de sibyllines pensées
Alanguie sur son divan de coraux érubescents
Le pied jouant entre les taches brunes
De la somptueuse peau d’un léopard docile
Qui sourdement de plaisir ronronne
Antinéa d’Atlantis Reine Bleue aux amants noyés
Qui la cherchèrent opiniâtrement, l’aimèrent
Et moururent au fond des délicieux abysses
Offre le glaive à son amie
Déjà pourvue de l’arc et du carquois
Car Elle part à la Guerre de Troie
Braver la colère du Grec
A la tête de ses Bravesses nues
Criant son nom à l’unisson : Penthésilée gloire des Amazones
Bouclier d’or au côté droit
Rousse Reine à la fatale grâce
Profil tranchant de joie hautaine
Sous les murs de la Cité
A l’endroit où les flots baignent les valeureuses mortes
En tas sur le sable et diluent leur sang
Toi debout encore, blessée au flanc,
Extraordinairement vaincue et belle
Tu laisses le plus beau des guerriers
Enfoncer dans ton cœur son fer brûlant
Mais lui-même en son âme est percé à l’instant
Car, à l’instant, il t’a regardé
Tes yeux outremer qui succombent
Les siens qui triomphent et pleurent
Se sont éclaboussés
Il te tue, il ne peut plus aimer
Parce que désormais il n’aime et n’aimera que toi
A jamais sa Morte, son Assassinée.
Pourtant, veille l’Afrique
Vieille femme multicolore
Raconte l’histoire sous l’arbre à palabres
On la sait jusque dans les montagnes
Sous les dômes flamboyant d’Opar
Grimpant des tours et des donjons
Qui frappe de stupeur les stupides
Hommes-bêtes apeurés
Cependant qu’elle arrache une larme
A la Sublime La, Maitresse de ces lieux,
L’Immortelle Adorée qui s’offrit à Celui,
Seigneur des Jungles Hostiles, qui la refusa
La, pour qui les Rois enchaînés se prosternent
Bravent les périls pour partager sa couche
Acceptent de périr pour baiser sa sandale
La, abandonnée aux rêves et à la solitude
Contemple en son miroir sa jeunesse qui danse
Sept voiles à ôter
Autour du corps gracile
Si bien formé déjà
Salomé virevolte
Un à un s’envolent les diaphanes tissus qui la couvrent à peine
Princesse d’Israël peu à peu se révèlent
Tes jambes élancées aux cuisses arrondies
Tes fesses portées haut jusque sous la cambrure
Où chute entre tes reins ta chevelure ébène
As-tu senti l’œil fou, l’abjecte convoitise de ton beau-père et Roi ?
As-tu vaincu ta mère complice de ses vices ?
Tes gestes s’accélèrent, tu t’écroules et parterre
Tu rampes jusqu’au trône
Tu lèves ton visage peinturé, outrageux
Ta figure est un masque indigne et fabuleux
Tu t’élances à nouveau
Tombe l’ultime voile à ton pied ciselé
Avec lui, le silence
Et le souffle coupé
La bouche sèche et noire
Hérode pétrifié souffre
Salomé tatouée dans la lumière fauve
Croise ses bras ornés sur sa poitrine jeune
Elle toise l’assistance qui n’ose trop
Fixer ce bas-ventre infernal de l’obscure toison
Elle recule alors, détourne le visage
Elle tremble et se fige
La tête du Baptiste
Tranchée selon son vœu
Comme prix de sa danse
Flotte devant sa face
Le sang du Prophète se répand goutte à goutte
De son cou déchiré sur le marbre qu’il souille
Et baisant de la Fille les délicats orteils
Condamne Israël.
L’ombre d’un aigle forme une croix
Sur la neige où repose une fille de ferme
Un château perché là médiéval et hanté
Abrite la Comtesse en son bain de jouvence
Apaisée
Viendront les justiciers les juges le Tribunal
La Dame de Hongrie devra rendre des comptes
Que savent-ils, ces gens, de la Beauté ?
Le sang virginal en préserve l’éclat
Sur la pâle Erzebeth le liquide rubis
S’étale, ravive ses appâts
Elle rit de la morale et des lois
Se souvient d’une île au Nord du Monde
Une Terre Ancienne où la jeunesse est éternelle
A Tir Na Nog il y a longtemps
Demain peut-être
Morgane la Fée que portèrent les vagues
Prépare le festin des étoiles filantes
Sous les harmonies vertes la peau rouge des pommes
Luit dans la lumière de l’Astre
S’avancent les Belles Dames aux longs cheveux
Lignée éblouissante des Magiciennes
La Nuit des cieux descend au lac
Bleu profondément obscur qui se pâme
Du chœur des fées un chant s’exalte
Le lac palpite en son milieu
Où ruisselant jaillit le fil
D’Excalibur
Viviane Gardienne des Espérances
De sa main fine gantée d’argent
Brandit l’Epée
Le Jour se fait.
Une autre île ou la même
S’éloigne le vaisseau
A son bord, un Roi
Son Roi, qu’Elle aima
La quitte à jamais
Circée l’Enchanteresse
Ne l’a plus enchanté
Pourtant immense est son pouvoir
Inaltérable sa beauté
Face à la Méditerranée nue Elle se montre
Les dieux en sont émus jalouses les déesses
Son Empire est bafoué.
La solitude l’étreint
La recouvre d’une robe de deuil
Lui tient le bras
Elles regagnent le Palais d’où sont chassés les vieux amants
D’autres viendront jouer à l’amour fou, se donner comme esclave
Se coucheront sur sa trace
Toujours, Circée règnera.
Le vacarme des voix
Le bruit des fêtes
Se tarissent à minuit
S’éteignent les flambeaux
Enfin !
Il est l’heure de défaire ce que le jour lui voit faire
La ruse de la tapisserie à quoi Pénélope la Fidèle
Est contrainte
Sa patience éternise sa splendeur.
Son visage naturellement radieux
Se réfugie dans l’ombre.
Les merveilles de ses yeux
La ligne gracieuse du nez
La bouche voluptueuse
Y sont enfermés à clés
Sous le masque d’orgueil et de mépris des hommes.
Les courbes de son corps par l’âge épanouies
Sont l’atroce supplice à leur désir haï
Repoussé sans merci
Enfin !
Pénélope se dresse Maîtresse de son île
Le drapé de sa tunique épouse sa démarche
Postée sur la terrasse où la brise la frôle
Elle ordonne, douloureuse, exaspérée :
A cette heure la vie
A cette heure la mort
Qu’il me soit rendu, si c’est la vie, sinon la mort !
Je suis Grecque, est-ce là mon destin ?
Formidable !