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"LE BALCON D'ANUBIS"

Dernière mise à jour : 28 oct. 2023


Thriller Fantastique Egyptien - FIN



Paris, quelques semaines plus tard.

Voilà. A mon retour, j’ai procédé à l’inhumation de feu mon épouse. Tous les documents officiels nécessaires étaient parfaitement en règle. L’ami Ahmed travaille bien. Il n’y avait personne ce matin-là, au Père Lachaise. Je n’avais prévenu personne. Sa famille l’avait reniée depuis longtemps et ses amies, s’il en restait, n’auraient pas fait le voyage, j’en suis certain. De toute façon, je ne voulais pas qu’ils soient là. Sur la dalle de granit bleu posée au-dessus du cercueil, j’ai fais graver le dessin du tombeau de Deir El bahri avec cette épitaphe : « Dors en paix Belle Hatchepsout »…

Je m’y recueille quelquefois. Le gardien du cimetière me prête une chaise. Je m’y assois, je lis, je rêve, je pense à toutes ces choses qui arrivent si étrangement, à ce que j’ai fait, à ce qu’il m’a été donné de voir. Est-ce que tout est lié, lié par qui, pourquoi, comment ? Et ce qui se passe pour moi, maintenant, que dois-je faire avec ça ? Est-ce bien réel ?

Chère Nesserine, était-ce ta fantaisie naturelle qui t’avait poussée à entreprendre de séduire mon frère ? Quittant son musée en fin d’après-midi, il est venu me chercher à mon cabinet pour qu’on rentre ensemble comme nous le faisions souvent. Malheureusement ce jour-là j’avais dû m’occuper de deux nouveaux patients en urgence, ce qui avait perturbé mon emploi du temps. Alors, je lui ai dit de ne pas m’attendre, de rentrer chez lui ou mieux, d’aller boire un verre chez moi et que je le rejoindrai dès que j’en aurai fini, le plus rapidement possible. Nous devions discuter de son projet d’exposition sur l’approche Freudienne des mythes antiques dans le cadre égyptien. Je savais que tu étais là, tu m’avais appelé de l’appartement pour savoir à quelle heure je rentrerai. Vous vous entendiez très bien tous les deux, je ne voyais donc aucune difficulté à ce que vous m’attendiez en conversant tranquillement.

Quand j’ai fini par arriver, la porte de l’appartement n’était pas verrouillée. Je la poussai doucement, je n’entendais aucun bruit de conversation, rien, le silence. Je t’ai appelée, pas de réponse. Dans le salon, la petite table basse était déplacée, les verres renversés et une bouteille se vidait sur le tapis. Des coussins jonchaient le sol et je marchais sur une de tes robes d’intérieur à moitié déchirée. J’entendis des gémissements dans la chambre et te trouvai recroquevillée dans un coin de la chambre à moitié nue en train de sangloter. Ebranlé, je me précipitai vers toi, te pris dans mes bras et t’allongeai sur le lit. Tu portais des hématomes sur les poignets, une égratignure à la joue, des marques ici et là, tu tremblais comme une feuille. Je t’ai demandé ce qui s’était passé tout en m’employant à essayer de te rassurer. Puis entre deux sanglots, tu t’es redressée, m’as bousculé et, sur le seuil de la salle de bains, tu m’as craché, très en colère : « c’est ton frère, ton cher et adorable frère ! Il a voulu me violer !». Tu as claqué la porte derrière toi et j’ai entendu la douche couler. J’ai voulu entrer, te parler, mais tu t’étais enfermée. La sidération me paralysait. Je ne pouvais pas y croire. Alors, je suis parti le voir. Je voulais comprendre.

Que s’était-il passé dans sa tête ?

A ce moment-là, tandis que je refermais brutalement la porte de l’appartement derrière moi, je le vis dans le couloir. Il dût saisir tout de suite, à mes traits dévastés, le trouble qui m’empoignait. Certaines de mes colères, par le passé, d’autant plus violentes qu’elles étaient rares, l’avaient effrayé. C’était une rage froide qui me possédait soudain. Dans cet état, j’aurai pu tuer quelqu’un, n’importe qui et de n’importe quelle façon… Il s’enfuit. Lui courir après me calma et je ne voulais vraiment que lui parler, l’entendre me dire ce que, peut-être, je soupçonnais déjà.




Oui, mon Hatchepsout, ma pharaonne délurée, tu m’avais trompé. Mon frangin, paix à ses cendres, était parfaitement innocent de ta soi-disant agression. Tu ne t’es pas gênée d’ailleurs pour me le confirmer. Car, remontant chez moi après qu’on eût emporté son corps sans vie, ravalant mon insondable désespoir, bientôt mué en désir de meurtre, je poussai la porte et te trouvai dans le salon qui avait repris sa physionomie habituelle. Tout comme toi. Tu sirotais tranquillement ton martini, langoureusement affalée sur le divan. Une bien jolie femme dans un bien joli déshabillé. Et plus trace de griffe, ni d’hématomes.

. Alors ? Demandas-tu dans un sourire éblouissant.

. Tu l’as provoqué…

. C’est ce qu’il t’a dit ?

. Il ne m’a rien dit, mais toi tu vas me dire…

. Quoi ? Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Eh bien, oui, je l’ai provoqué ! J’ai voulu le tester ; si une femme ne peut pas s’amuser un peu aux dépends d’un gros benêt comme ton frère ! J’ai toujours pensé qu’il me désirait mais qu’il craignait de me l’avouer, par peur de toi, oui, par peur !

. Tais-toi !

. Il me regardait bêtement ne sachant se décider, moi je lui caressais la joue pressant ma poitrine contre son large poitrail. Alors il s’est braqué. Sais-tu ce qu’il a fait ? Il m’a repoussée, violemment, me laissant comme une conne au milieu de la pièce ! Et il est parti en claquant la porte. C’est ça, va voir ton grand frère ! Lui criai-je, raconte-lui ! C’est à cet instant que j’ai eu l’idée, je tenais ma vengeance. De quoi mettre un peu de piment fort dans la cuisine des relations fraternelles ! Je l’ai bien jouée non, la scène ? Avoue, tu y as cru au fratello violeur !

. Tais-toi !

D’où venait cette haine que je sentais monter en toi, dans ces propos querelleurs ?

. D’autres n’ont pas refusé mes faveurs ! Hurlais-tu. Crois-tu que tu m’ais toujours suffit, mon pauvre petit psy d’amour qui n’a jamais rien vu !

Et tu riais, hargneuse, laide finalement, insupportable catin. Et moi, je te regardais, glacial, sans parler, je n’en avais pas envie. En revanche, j’avais très envie que tu cesses cette logorrhée misérable qui me cassait les oreilles. Alors, je me suis brusquement rapproché de toi et t’ai étranglée. Ah, ce silence merveilleux, juste après l’écrasement du larynx sous mes doigts ! Le bonheur !

Je t’avais ainsi assassiné. Classiquement, j’avais vu ça tant de fois au cinéma, je t’enroulai dans le tapis, comme fut la reine Cléopâtre dans le sien. Il était tard dans la nuit, je te portais tant bien que mal jusqu’à l’ascenseur, le parking, la voiture, sans croiser personne. Vers la Cité des Morts. A cette heure là, à cet endroit-là, un porteur de tapis peut bien déambuler parmi les morts et les vivants s’il y en a qui trainent encore…

Au fond, si je puis dire, j’avais aimé te séduire. La conquête, voilà le meilleur de toute relation. Se moquer des conventions, oser ce qu’elle attend qu’on ose, saisir l’occasion, monter à l’assaut avec juste ce qu’il faut de fougue, cueillir la belle qui connaît son rôle à la perfection et le joue avec conviction…Mais après, on est un peu embêté, qu’en fait-on ? Tu ne dis plus rien ? Mais non, suis-je bête ! Bien sûr, je n’ai su tout ça qu’après en avoir fini avec toi. J’en ai pris conscience. Le retour du refoulé quoi…




VI

Et maintenant, la nuit est venue. Dans le noir, caché derrière les rideaux, j’observe le boulevard tout en bas. De temps à autre un véhicule passe, taxi, moto, filant vers leurs affaires. Pas âme qui vive sur les trottoirs. L’éclairage jaunâtre des lampadaires creuse des ombres impénétrables. Je sais qu’il est là. Je ne l’ai pas encore vu, il est là pourtant. Elle aussi doit être là.

J’ai toute ma raison. La folie est une option. Il y en a une autre, certes, que je devrais envisager ou plus exactement dévisager avec courage et consentement. En évitant les miroirs, qui inversent les choses et les hommes, confondent les rires et la grimace, le plaisir et l’horreur, les perspectives infinies et la surface impitoyable.

Je dois regarder ce balcon, là-bas, sur l’immeuble d’en face. Il suffit de lever la tête. Je ne me trompe pas. Il a pris son allure de chien policier. Ces malinois qui tirent sur leurs laisses traquant pour leur maître la marchandise illicite, le clandestin fourvoyé, l’enfant meurtri enterré sous les feuilles dans le sous bois. Mais lui, le dieu noir, il est assis sur son arrière train, un peu au-dessus de moi, les oreilles dressées, il me guette. Demain matin, il sera toujours là. De jour comme de nuit il est là.

Je suis allé voir en plein jour. J’ai traversé le boulevard jusqu’à cet immeuble d’où il m’épie effrontément. Le concierge m’a juré ses grands dieux – lesquels ?- qu’il n’y avait personne là-haut. L’appartement est vide, inhabité depuis des lustres. J’insiste. Il est bon bougre, je lui glisse un billet pour l’encourager. Nous montons. Il n’y a que cet appartement à l’étage. Nous ouvrons une porte solide pas pour autant pourvue de blindage. La pénombre ne révèle aucun mobilier, rien. L’odeur de renfermé est puissante. Il veut bien ouvrir la porte-fenêtre, nous voilà sur le balcon où je sursaute. Une couverture noire est jetée sur un empilement de vieilles chaises bancales oubliées par les derniers occupants. Cet amoncellement est orienté vers mes fenêtres, serait-ce possible ? Une illusion d’optique jouant sur la distance, provoquant la surchauffe de mon esprit tourmenté ? Je remercie le bonhomme et m’en retourne chez moi.




Ai-je donc l’esprit tourmenté ? J’ai du mal à l’admettre. Depuis mon retour, je vais bien. Je mange, je bois, je lis, je dors paisiblement. Peut-être pas aussi paisiblement que je le souhaiterais, soyons honnête. C’est qu’il y a cette silhouette sur ce balcon, je le sais ! Ces chiffons, ces chaises, un leurre ! C’est évident ! Je suis à la fenêtre et je le vois bien. Il remue légèrement, il hume l’air sans cesser de regarder vers moi. Il peut berner qui il veut, mais sûrement pas moi !

La nuit dernière, la lune était pleine. Une panne sans doute avait éteint tous les réverbères du boulevard. On pouvait apprécier la puissance de cette lumière lunaire, comme sur la Cité des Morts, et la silhouette aux oreilles droites se tenait debout me désignant d’un doigt pointé dans ma direction. J’étais glacé, je refermai la fenêtre et tirai les rideaux. Je me couchai, essayant de lire pour trouver le sommeil. Impossible. Pourquoi me désignait-il ? Que voulait-il de moi ? Je redoutais en frissonnant de le voir paraître au pied de mon lit. Mentalement secoué, je finis par m’assoupir.

Ce matin, volets ouverts je jubile. Le balcon d’en face est vide. Plus rien. Il n’est plus là ! Y compris les chaises bancales et leur couverture ! Le concierge en aura pris l’initiative. Oui mais… Lui, Anubis où peut-il être à présent ? Quel cauchemar ce fut si s’en fut un ! Aurai-je tout simplement guéri de mes hallucinations ? Je devais être finalement très choqué par mon récent épisode égyptien, je ne voulais pas le croire, Ahmed avait raison ! Prudence quand même, attendons la nuit prochaine, peut-être ne veut-il plus se montrer de jour…

Voilà. Le crépuscule s’assombrit encore. Toujours rien sur le balcon. Pas de clarté lunaire, les lampadaires fonctionnent. Il fait nuit. Il faut bien regarder partout, l’immeuble, le boulevard. Comme tout est calme ! Quelqu’un s’approche sur le trottoir d’en face. Une petite silhouette, un enfant, qui n’a pas l’air pressé de rentrer chez lui… Un frisson me parcours l’échine, serait-ce… ? Je ne peux en douter. La fillette s’arrête et lève son visage vers moi, mon Dieu ce sourire qu’elle me fait ! Ce n’est pas un sourire, c’est une condamnation… Elle disparaît dans l’ombre d’un porche. Je vais si mal que ça ? Consciemment je n’ai jamais ressenti la moindre culpabilité, mais inconsciemment ? Allons, tu deviens stupide, tu sais que ça ne fonctionne pas comme ça ! Qu’est-ce que tout cela signifie ?


Le jour se lève. Je n’ai pas dormi. Il me faut un café fort. Je m’avance vers la fenêtre, ma tasse fumante au creux de mes mains qui tremblent. Les gens sur le boulevard vont et viennent, nul ne la remarque dans son encoignure de porte. Et ses yeux me cherchent. Tant mieux ! Elle va me voir ! Et tout le monde la verra, elle ! J’avale mon café qui me brûle l’œsophage et je descends. Je suis en robe de chambre, pas rasé, pas douché, et alors ? Je la vois parfaitement sur le trottoir d’en face. Elle me regarde sans trahir une émotion particulière. Je traverse la rue, elle ne bouge pas. Elle ne s’attend sans doute pas à ce que je vais faire. J’interpelle une femme qui passe : « Madame, excusez-moi, vous voyez cette gamine, elle… » La femme ne m’écoute pas, je l’ai effrayée. « Ne craignez rien, Madame, je vous en prie ». Je saisis son bras. « Mais venez donc ! Voyez cette gamine devant nous…». Elle me traite de taré, de fou furieux, me menace de la Police, se dégage et s’en va d’un pas vif sans se retourner. Des gens l’air consterné ont assisté à la scène. Des hommes se montrent hostiles. Je vais me faire rosser. Je regagne rapidement mon immeuble et rentre chez moi. Je me sens las, au bord de l’épuisement, je m’effondre dans mon fauteuil. Je m’y endors comme une souche.

Lorsque je reprends peu à peu conscience, je n’ouvre pas tout de suite les yeux. J’ai l’impression d’émerger d’un très long sommeil. Je sens un contact léger, agréable, sur ma main. La douceur d’une petite main fraîche sur la mienne. J’entrouvre les paupières. La pièce est plongée dans l’obscurité. La nuit a dû tomber pendant que je dormais. Une petite voix gracieuse me chuchote dans l’oreille :

. Un sommeil millénaire Mon Seigneur…

J’ouvre grands mes yeux immenses soulignés de khôl. Je dresse fièrement ma haute stature et m’avance lentement guidé par l’enfant jusqu’au balcon éclairé par une lune radieuse ronde comme gravée au compas par nos géomètres. A sa lumière, je scrute l’Occident. Les temps ont-ils changés ? La Mort est-elle toujours la Mort ? Et moi, Suprême Examinateur, prononcerai-je toujours les justes sentences décidant, avec elle, ou contre elle, de l’accès à l’Eternité ?


L’enfant à point nommé me tire de ma rêverie.

. La pesée des âmes, Seigneur, il faut descendre.

. Oui, mon enfant, descendons…






FIN

Gilbert PROVAUX - Avril 2020

Photographies de l'auteur

Couverture : Joanna Karpowicz

Droits réservés


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