Thriller Fantastique Egyptien - PARTIE 1
En des temps immémoriaux …
Les deux frères étaient aux champs. Inpou, l’aîné, semait d’un geste large les grains de blé derrière la charrue que tirait un gros bœuf mené par Bata, le cadet. Autant le premier était grand et mince, autant le second exhibait des muscles impressionnants, sur lesquels le soleil faisait reluire la sueur tandis qu’il enfonçait de toute sa force qui était grande, le soc dans la terre, creusant de profonds sillons rectilignes.
La journée était chaude. Mais le Nil, tout proche, bordé de roseaux, apportait un souffle léger qui venait rafraichir un peu les deux travailleurs. Ils firent une pause. Inpou remarqua que la semence venait à manquer et la journée était loin d’être terminée. Il s’apprêtait à aller en chercher à la ferme où ils vivaient tous les deux en compagnie de sa femme Anput, quand Bata se proposa.
. Laisse-moi y aller mon frère, je ne suis nullement fatigué. Je peux ramener beaucoup plus de sacs que toi sur mes épaules.
. Soit ; vas-y mon frère et prends aussi de l’orge.
Vif en dépit de sa masse, Bata s’en alla non sans avoir dit quelques mots bienveillants à la bête de somme tout en le flattant à l’encolure. Car Bata, peut-être une faveur des dieux, entendait à la perfection le langage des animaux.
Anput tressait ses longs cheveux de jais nonchalamment assise sur une natte devant l’entrée de la demeure. C’était une jeune femme très belle qui s’ennuyait fort, loin de la ville. Elle vit arriver Bata et toujours emmêlant savamment ses mèches épaisses, lui sourit sans bouger de sa place. Bata fronça les sourcils et lui enjoignit d’aller à la réserve lui ramener les semences dont son frère et lui avaient besoin.
. Ne vois tu pas que je suis occupée, répondit-elle insolemment, tu sais où est la réserve, sers toi !
Bata ne discuta pas. Bientôt, il revint de la réserve chargé de trois sacs de blé et deux sacs d’orge.
. Quel bel homme tu fais, s’exclama la belle ! Et comme tu es fort ! Ne veux-tu pas t’asseoir auprès de moi ; ne suis-je pas à ton goût ?
Elle lui jetait des regards langoureux, lourds de promesses de plaisir.
Le frère d’Inpou ne succomba pas. Il la toisa, furieux, et, son chargement sur le dos, s’en retourna aux champs. De nouveau seule, Anput craignit que Bata ne racontât à son frère, son époux, ce qu’elle avait essayé de faire. Aussitôt, elle se barbouilla de graisse, se jeta au sol, se griffa avant de se coucher, recroquevillée et couverte d’ecchymoses.
Après avoir bien travaillé, ils s’en revinrent. Bata conduisit le bœuf à l’abreuvoir pendant qu’Inpu entrait dans la maison trouvant son épouse alitée.
. Es-tu malade ? lui demanda-t-il.
. C’est à cause de Bata… parvint-elle à dire dans un sanglot.
. Quoi Bata, qu’a-t-il fait enfin, tu es toute blessée !
. Il s’est jeté sur moi quand il est venu tout à l’heure, il voulait…, ne comprends-tu pas ? Alors je me suis défendue et…, il m’a battue.
Ses larmes coulaient en abondance sur ses joues griffées. Inpou se redressa en proie à une douleur intense qui se mua en une colère froide. Il saisit sur le mur la croix de Ankh dont il tira une lame effilée prêt à l’enfoncer dans le cœur de son frère. Il sortit. Une vache toute proche se mit à meugler et le bœuf levant sa tête de l’eau s’écria dans son langage de bête à l’intention du seul qui pût le comprendre : Fuis Bata, fuis, ton frère veut te tuer à cause de la femme !
Et Bata s’enfuit, poursuivit par Inpou enragé des mensonges de son épouse. Inpou courait vite. Bata pria Sobek qui soudain lança ses crocodiles couvrant le Nil de leurs corps rugueux sur lesquels il put passer sur l’autre rive, tandis qu’à l’arrivée d’Inpou, ils se tournèrent vers lui le menaçant de leurs gueules ouvertes crachant et soufflant. Alors, bouleversé, les larmes aux yeux, Bata, depuis la rive opposée, fit face à son frère.
. Je ne sais pas trop ce qu’elle t’a dit, mon frère ! Je le devine, hélas ! Mais je suis innocent, je ne lui ai rien fait, je te le jure ! Tu ne me crois pas ? Ta haine à mon égard m’est insupportable ! Moi qui t’ai toujours aimé, vois ce que je fais !
Inpou hurla. Bata avait sorti son couteau et se castra sous les yeux de son frère. Son sang gicla sur les roseaux où il s’effondra.
. Je te crois mon frère ! Je te crois !
Il traversa le Nil que Sobek avait libéré. Il prit Bata dans ses bras et le porta jusque chez lui. Sa femme n’eut pas le temps d’esquisser un geste, il la transperça de sa lame de part en part.
. Je suis le Seigneur des Morts, murmura-t-il.
Le Caire, de nos jours.
Je me disais à l’instant : autant commencer par le commencement. Autant commencer par Le Caire. Mais est-ce vraiment le commencement ? Y-a-t-il même un commencement aux histoires qu’on raconte ? Est-ce que nous ne prenons pas plutôt le train de l’histoire, de toutes les histoires, en marche ; en décidant qu’il serait une fois et une seule à partir de maintenant ? Le Caire donc. Mon avion se pose sur la piste. Je suis attendu par un policier. Le corps de mon épouse a été retrouvé. C’est pourquoi je reviens dans cette ville après sept ans d’absence, après l’avoir quittée avec la ferme intention de n’y revenir jamais.
Voici le tapis où les bagages défilent en vrac. Je saisi le mien au passage, une valise à roulette point trop volumineuse. Je me dirige vers la sortie où j’aperçois la haute silhouette carrée du policier, mon vieil ami Ahmed Fami qui me fait signe. Je franchis avec lui les points de contrôle presqu’en maître des lieux, les formalités sont remplies rapidement et poliment, on me souhaite un excellent séjour et nous roulons dans l’antédiluvienne 504 Peugeot break crème, que je retrouve pimpante, dont Ahmed n’a jamais voulu se séparer, je le constate.
. Je la bichonne, tu sais, je l’aime cette voiture. Je peux y regarder dedans, mettre les mains dans le moteur, tout régler moi-même…
. Oui, pas comme les modèles d’aujourd’hui…
. C’est ça ! Mais trêve de bavardages oiseux. Comment vas-tu depuis le temps et puis surtout, est-ce que ça va aller ?
Je crois que ça va aller, oui je le crois. Je le lui affirme. Toutes ces dernières années loin d’ici, pendant lesquelles j’ai voyagé avant de me fixer à Paris, ont apaisé la douleur de la perte, sans qu’elle ne disparaisse tout à fait, évidemment. J’appréhende un peu cependant, de voir le corps. Je ne le lui dis pas. Comme s’il le devinait, il a décidé de me déposer à l’hôtel. Rien ne presse me dit-il, à moins que tu ne veuilles vraiment pas attendre. Je n’insiste pas. Nous sommes en fin d’après-midi, la chaleur m’assomme un peu ou serait- ce cette lumière d’Egypte éblouissante, il passera me prendre dans la soirée pour dîner.
En attendant, je m’avance avec un certain plaisir, ne le nions pas, vers la réception du « Cosmopolitan », cet hôtel fameux pour l’imposant lustre de cristal scintillant de toutes ses facettes dans l’immense hall près des ascenseurs.
Il est très ancien le « Cosmopolitan », aussi ancien que son lustre et tout son intérieur dégage un charme désuet qui m’a toujours séduit. Il n’a pas changé, Dieu merci !
C’est ici que j’étais descendu lors de ma première visite, il y a de cela bien vingt ans, peut-être plus. Un chauffeur de taxi m’y avait amené après s’être chargé de moi alors que j’émergeais de l’aéroport, nez au vent et totalement plongé dans l’inconnu. Je connaissais l’Egypte par mes lectures, l’Ancienne Egypte. J’avais avalé force documentaires sur son histoire, ses dieux, ses déesses, ses pharaons, ses mythes. J’avais dévoré « Nuit des temps » le pavé extraordinaire de Norman Mailer. Tant et si bien que, pour un peu, j’eusse été moins dépaysé en débarquant ici sous le règne de Ramsès II ou d’Amenhotep IV, le célèbre Akhénaton ! Pour un peu seulement… Ce chauffeur de taxi était une sorte de Cassandre.
Sur le chemin, il me montrait à l’époque les « mosquées muslim » selon son expression. Il s’effrayait, ce brave homme, de la montée de l’islamisme. Alors que personne n’y prêtait attention, il redoutait, lui, dans son taxi, la déferlante extrémiste qui n’a pas manqué de survenir. Finesse de l’observation ; j’espère qu’il a pu poursuivre son existence sans avoir trop à en souffrir. Et puis les militaires revenus au pouvoir semblent, au moins dans ce pays, avoir brisé l’élan de ces sinistres fous d’Allah.
Ahmed m’invita à dîner chez lui. Poufs, coussins, divans, plats en cuivre ou en étain, narguilé de porcelaine et tapis persans vivement colorés, l’intérieur impeccable d’un oriental chaleureux. Cependant, nous dinâmes à table et avec des couverts bienvenus, à l’occidentale. Son épouse me reçut avec la cordialité retenue mais souriante qu’avait conservé mes souvenirs. Elle avait pris assez peu de rides, son visage était toujours aussi agréable avec ses grands yeux noirs et sa jolie bouche bien ourlée, mais quelques kilos manifestes alourdissaient sa silhouette. Quelle importance ? Leurs enfants avaient tous grandis et quittés le foyer familial. Les deux plus vieux avaient intégré l’armée, un autre travaillait dans le tourisme à Louxor, deux des trois filles étaient mariées et mères de famille, la dernière poursuivait des études à Londres, juridiques je crois. La conversation roulait sur des rails convenus, ça ne m’ennuyait nullement, au contraire !
Que de fois, dans ma vie, je fus amené à participer à des colloques, séminaires, cocktails, dîners « entre amis », déjeuners « entre collègues », au cours desquels je devais surmonter mon ennui, voire mon aversion à l’égard des platitudes pseudo-intellectuelles assénées par des gens qui avaient des idées sur tout, sur rien aussi, surtout sur rien, et tenaient absolument à vous en faire part, à défaut de vous les faire partager. Il fallait que je me montre informé, sinon intéressé, que je glisse quelques couplets de bonne tenue tout en pratiquant une ironie courtoise qui mettait en joie les quelques-unes qui me trouvaient « épatant »… Une de ces oiselles poussa le vice jusqu’à devenir ma femme. Depuis des années, heureusement, j’ai tout plaqué. Je n’exerce plus mon métier de psychanalyste, je ne publie plus, je ne donne plus d’interview. Vraiment, je n’avais plus le goût de la recherche, encore moins celui du débat, et moins encore d’empathie envers mes semblables, sentiment indispensable à la panoplie du thérapeute qui croit un peu à sa pratique. Quant à ma femme, elle disparut pendant cette période. Elle était égyptienne, jeune et très belle. Je l’avais suivie dans son pays…
J’avais accepté de venir m’installer avec elle et d’exercer ici au Caire, métropole grouillante de vie et d’espérances. D’autant que mon frère, archéologue, enseignait déjà à l’université de cette ville en liaison avec le musée des antiquités qu’il dirigea un temps. Irréductiblement célibataire, il fut ravi de nous voir arriver près de lui. Il s’entendait parfaitement avec Nesserine, prénom de mon épouse. Il l’avait surnommée Hatshepsout, du nom d’une Souveraine égyptienne de la XVIIIème dynastie dont le tombeau, dans la vallée des Reines, sur la rive gauche du Nil, est visité par des milliers, voire des millions de touristes. Intérêt justifié d’ailleurs, ce tombeau étant littéralement unique par sa facture, oserais-je dire « contemporaine ».
Mes références en la matière étant nettement moins « pointues », je la voyais plutôt en Cléopâtre, façon Liz Taylor dont elle avait selon moi, et pour mon bon plaisir, adopté la coiffure, ce carré long à frange sur le front qui mettait en valeur le bel ovale de son visage et ses yeux clairs en amande subtilement souligné d’un trait de crayon noir. Mon frère nous trouva un bel appartement correspondant à notre standing, dans le même immeuble que le sien, avec une vue imprenable sur la ville, le Nil, large et majestueux, à nos pieds. Il me semble que tout cela date de plusieurs siècles. A présent ma femme disparue a été retrouvée, du moins ce qu’il en reste. Le corps de mon frère, lui, avait été retiré du Nil le même jour, le même soir terrible de la disparition de Nesserine. Mort par noyade suite à un choc, il était tombé dans le Nil, il ne savait pas nager. Un suicide, ont conclu les Autorités judiciaires. Ou un accident.
Les deux ? Pouvaient-elles comprendre ?
II
Elle est là. Sur la table en inox, au milieu de la pièce tapissée de carreaux blancs, Il règne une odeur indéfinissable, mélange de détergent et de formol peut-être. La morgue. L’autopsie a été réalisée. Ahmed me regarde, je ne peux cacher ma stupéfaction. C’est une momie que j’ai sous les yeux. La peau brunâtre, tannée, comme du cuir séché, mais le corps et le visage intacts ou peu s’en faut.
. Elle a été littéralement momifiée, comme tu peux le voir dit-il. Nous avons dû ôter les bandelettes. Un travail à l’ancienne, comme du temps d’Hatchepsout.
Il sourit tristement au souvenir de son surnom…
. Mais nous ne l’avons pas retrouvée dans un tombeau de la vallée des Reines, continue-t-il. Elle était au fond d’une crypte où des, comment dirais-je, fous ? De drôles de mécréants en tout cas, se réunissaient à certaines époques de l’année pour pratiquer un culte, je crois, aux dieux anciens de l’Egypte. Enfin, je n’ai pas très bien compris ce que racontent ces agités, du moins ceux qu’on a pu attraper. Quand ils veulent bien parler ; ou quand on les y pousse un peu, certains préfèrent parler… Mais, bon, ce sont des propos qui tiennent du délire de personnalités mentalement atteintes si tu vois ce que je veux dire… On a retrouvé là d’autres corps de disparus, femmes et hommes dans un état similaire.
. Une secte ?
. Peut-être… On n’est pas sûr que ce soient eux qui aient zigouillé tous ces gens. Quelques-uns oui, à ce qu’il semble eu égard au « modus operandi », mais d’autres comme ton épouse, non. Elle a été étranglée, ce qui n’est pas tellement dans leurs manières, eux ce sont plutôt des égorgeurs… Non, pour elle, on tient le coupable et ses complices depuis des années. Eux sont plus éclectiques, certes le couteau a leur préférence, mais, à défaut, ils n’ont rien contre d’autres moyens, je les ai vu à l’œuvre ces chiens ! Sans le corps, ils n’ont jamais voulu nous dire où il était, ils n’ont jamais avoué non plus. J’ai préféré poursuivre l’enquête sans rien te dire de tout ça, tu comprends ?
. Je comprends. Dis-moi, que disent les, euh, détraqués, pour justifier la présence de la momie sur les lieux de leurs réunions ?
. Elle faisait partie du culte selon eux. Je veux dire, la momie était vénérée, elle avait été préparée selon les préceptes d’Anubis. Je crois qu’ils ont découvert le cadavre assez tôt et que ce sont eux qui l’ont « préparé ». Il y avait là-bas tous les instruments, les produits, absolument tout pour le faire, si tu avais vu !
. Et c’était où, ici, au Caire ?
. Parfaitement, dans un endroit idéal…
. La Cité des morts ?
. Exact !
Je laissais Ahmed travailler, promettant de revenir le voir après son service. Il avait, auparavant, insisté pour que j’assiste depuis la pièce à côté, derrière une vitre sans tain, à l’interrogatoire qu’il devait infliger à nouveau aux coupables, les uns après les autres. Mais je ne tins pas jusqu’à la fin. J’étais mal à l’aise. Les coups pleuvaient sur des corps qui avaient dû, déjà, en recevoir abondamment. Les deux inspecteurs d’Ahmed semblaient y prendre du plaisir, lui restait en retrait, posant les questions. De ce que je vis, ils continuaient à nier qu’ils eussent commis le meurtre. Cependant, à travers leurs visages tuméfiés, ils parvenaient à esquisser de mauvais sourires, comme s’ils se réjouissaient de ce meurtre, comme si la mort de ma femme leur procurait une joie malsaine, diabolique.
Je n’en étais pas vraiment surpris.
Ces fanatiques islamistes, ceux-là ou d’autres de leur sorte, l’avaient plusieurs fois menacée. Sa liberté de ton, ses manières de femme libre, cheveux au vent et robe outrageusement moulante, ses rires moqueurs devant les mosquées et les croyants courbés sur le sol, le succès qu’elle rencontrait auprès des autres femmes tentées de l’imiter, tout ça la rendait à la fois forte, sûre d’elle, célèbre dans certains médias occidentaux présents au Caire, mais aussi, tout ça en faisait la cible privilégiée des fous de Dieu comme de toutes celles et ceux qui, tout en professant la modération sur les questions de respect des croyances, n’acceptaient pas ce qu’ils nommaient ses « indécences répétées ». Ahmed m’avait expliqué :
« tu sais, ils me l’ont dit, pour eux c’est un honneur d’être accusés de l’avoir tuée. Peu importe qu’ils ne l’aient pas fait, me disent-ils, Allah a frappé la mécréante comme il lui a plu armant une main bénie… ».
Pour mon vieil ami policier, le raisonnement est étrangement à peu près le même : qu’ils soient coupables ou non, ils méritent ce qui leur arrive. Au fond, Ahmed est loin d’être persuadé de leur culpabilité, mais peu lui importe. « Vois-tu, me dit-il, les militaires ont repris en main ce pays après la désastreuse tentative démocratique qui avait porté au pouvoir les Frères Musulmans. Ils instauraient la charia dans ce pays, te rends-tu compte ? Le coup d’état militaire a été une bonne chose en définitive, crois-moi ! ». Comment aurais-je pu le contredire… Puis il ajouta, en me regardant droit dans les yeux : « Et puis, moi, ça m’arrange que ce soit eux, c’est beaucoup mieux ainsi ! ».
Je sors des locaux de la police. Il fait bon. Les rues populeuses viennent à moi, ou bien est-ce moi qui m’y plonge, m’y dissous. La mosquée Al-Azhar dresse ses élégants minarets très au-dessus de moi.
Ce haut lieu de la science islamique, la plus ancienne université de ce type encore en activité depuis plus d’un millénaire, impose le respect. Je traverse le bazar Khan El Khalili, sinueux, tentaculaire, me laissant porter par la foule dans laquelle se pressent des touristes en quête de sensations fortes et d’achats calibrés à des prix à discuter, c’est le jeu. Je me pose dans un troquet minuscule, à une table près de l’entrée encombrée de tapis exposés, de plats en cuivre martelé, de bibelots improbables, imitant maladroitement les trésors de l’Egypte des pharaons. Je déguste à petite gorgée le thé à la menthe que l’on m’a apporté agrémenté de pignons.
Et, de mon poste isolé, dans l’ombre, l’œil vague, je m’abstrais de ce monde affairé. Mon attention flottante, comme je la pratiquais souvent dans ce qui fut mon métier, dérive parmi les sensations contradictoires.
Plaisir d’être là et pas là, nulle part et partout, douleur des blessures jamais totalement refermées, vieilles blessures lointaines, si lointaines. Et pourtant mal cicatrisées puisqu’on y revient encore. Non pas seulement la fin tragique de mon épouse, beaucoup plus loin, l’enfance, l’adolescence compliquée…Lieux communs.
La douleur n’est pas intense mais elle perdure, lancinante. Mes pensées me portent vers mon frère. Pourquoi a-t-il fallu qu’il se précipite ainsi vers le fleuve…
A suivre...
Gilbert PROVAUX - Avril 2020
Photographies de l'auteur
Couverture : Joanna Karpowicz
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