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  • Photo du rédacteurgilbertprovaux

"Journal de Venise"


Nuit matinale traversée de rails sur le flot lunaire

Vers Elle, au ras de la mer, amertume,

Effluves humides d’eaux mortes

Ravivées

Je prévois un séjour secret dans cet entrelacs où la pierre le bois et l’eau labyrinthent les plaisirs appelés de nos vœux inlassables, les désirs flottants entre deux


Eaux


Au fond des verres en fusion à Murano

Iles inquiètes guettant le raz du haut des dômes vert de gris, installant leurs ponts à l’envie autour de leurs masques de fête pâles et lisses comme la mort, lente et souveraine.


C’est ainsi qu’on la dit, Serenissime, encore lorsque tout a sombré, mais que demeure le souvenir dans la lagune aux clapotis, ce rêve d’eau, ce mirage aux cents palais décrépis où gémissent tard dans la nuit, des Ombres.


William Turner
William Turner

Rio

Calle

La Salute

Les superstitions


Pris d’égarement, mon cerveau ressemble à Venise baignant dans ses canaux

Et nous sommes deux en ce périple, écoutant le bruit des vapeurs, ininterrompu, fatal, comme la rumeur du Cannareggio, entre ses ghettos jeunes et vieux du Pardon Hébraïque.

Nous sommes deux qui s’aimons d’avant Venise, d’encore après longtemps ; mon Venise tout blond du soleil invaincu à la tête de ma femme, mon petit capitaine à la vie, au long cours…


L’orage du soir ; serait-ce celui-là sur Venise qui rendra l’eau à l’eau ?

La pierre molle enfle. Brune, la terre en ses végétations s’agrippe aux murs trempés des fières demeures moisies et froides.

La Casa d’Oro a perdu l’or qui l’habillait, Palazzo Bianco à nos yeux qu’elle n’éblouira pas.

Dans le soleil revenu, nous célébrons nos noces, dans le soleil dont ma femme est venue.

Tout deux à Venise.

Assis

Sur les marches d’un pont,

Dans le regard de Frédéric Nietzsche, regardant comme lui, en face, l’île des morts si parfaite

Vers le Cimetière San Michele
Vers le Cimetière San Michele

Nous sommes en sa solitude, cloués à ce pont, à cet embarcadère aux bateaux vides, en cette attente vaine de qui n’attend plus rien,

mais qui ne marche plus, simplement.

L’ombre du voyageur a disparu, l’ombre de Venise, aurore.




La dépression nous parût plus profonde. Cela recommença un soir encore. Sec, en cette fin d’après-midi intime, le son nous en prévint. N’importe, nous allâmes tandis que tous revinrent, au milieu de la pluie.


Partis, les paquebots antiques, les navires de la flotte,

Les canonnières coulées en mer de Chine, à la guerre outre-mer des florissants commerces, caravanes marcopolines, extravagances.

Ô mon Venise est toute une histoire

Que l’on se raconte tout seul

Et que l’on fait à l’autre

Avec l’amour, éperdument.

Je te ferai un enfant mon âme, malgré ce monde-là, contre lui, mais pour cet autre de notre sang. Tant pis, nous l’aurons voulu, ainsi soit-il de notre amour en enfer ou loin, ailleurs.

Promesse

Eclats de voix

Santa Maria Della Salute

Et nous, vers la douane de mer, contrebandiers d’absolu, passeurs des pires drogues : héroïne d’espérances, cocaïne pure de nos soupirs.

Nous sommes au Monde à mort et à vie.


Une pomme jaune à ta bouche rose

Le Temps mordu à mort

Le bois brisé d’un coup

Pour un million d’échardes

Remontant nos chairs noires

Vers une source

La soif de l’eau

Est le rêve même de cette eau croupie.

Ton rire pur immense en fait un lac

Comme ton rire pur immense

Et nous recevons le baptême dans l’immanence

Aux premières lueurs sur Venise.


Santa Maria Della Salute
Santa Maria Della Salute

Je n’ai pas écouté les vieilles rumeurs.

« Vaisseau vénitien vogue vaguement

Sans doute n’y a-t-il plus rien à présent

Qu’une sous marine opalescence de perle

Où Venise se mire atrocement »

Je n’écoute pas les nouvelles, bonnes ou mauvaises, qui parlent de Venise ; ce que je vois me plaît.


Dorsoduro brutal

Les pas qui traînent

Les gondoles qui se faufilent

Des passeurs désenvoûtés

Renégats ; ô Charon désoeuvré, vois ta descendance !

On ne voyage plus de la vie à la mort, on s’agite, on s’évertue à rien,

Perinde ac cadaver…


"Morte a Venezia" Luchino Visconti
"Morte a Venezia" Luchino Visconti

Daedalus

De l’eau pour aller

Oasis

Où se perdre à jamais

Méandres vénitiens

Nuit sémaphore

D’hommes ou de bêtes

Sur les murs impressionnés.




Mon amour, je voudrais que tu mettes ton oreille dans ma voix.

Je chante une chanson qui n’a pas de musique, ou qui en a peut-être une que je ne connais pas. Une chanson dont je n’ai que quelques mots. Les voici de mémoire :

« Quatre vapeurs pour sillonner la mer

Avortée la mer étourdie

De rayons scrutateurs

De plongeurs épongés

D’utopies

La mer océane des Marines chaudes

Aux Vénus délurées

Aux lourdes sirènes fortes de hanches

Repues du désir animal

Insatiables à la perte, à la métamorphose, sans âme

Aucune

Mais la chair corrompue comme une rage, erratique, sonore, et d’odeurs fortes précédée

Comme au tombeau lui-même de la mer »

Je n’en sais pas la fin. Et toi, la connais-tu ?


Mes yeux crépitent de larmes comme un feu de bois sec à la Saint Jean.

Puis, il faut quitter Venise, comme toutes choses à l’heure.


Nous y reviendrons. Mieux : Venise ne nous quitte pas.


Rialto second. Après San Marco, les doges et les lions qui veillent exposent la Loi en un seul Livre.

Immenses enclos sinueux ou larges cours rectangulaires, grouillants de l’humaine engeance, hébétée, têtes en l’air, sous l’indifférence des basiliques dorées à Byzance, des palais rectilignes qui défilent leurs arches élégantes à perte de vue…

O lion ailé, noble patriarche, qui rentra ses griffes et tint l’In-folio !

Venise ne nous quitte pas.

Venise Véronèse Titien

Tintoret Bellini

Toute l’Accademia devant un grand pont de bois nu comme un arbre en décembre et le bruit de nos pas nous dit sa nature mieux encore que l’œil, enjambe le Grand Canal.

Tout à côté, sur le même rivage, une riche demeure d’américaine dans les murs vénitiens, exhibe les derniers arcs-en-ciel des derniers arlequins.


Ne nous quitte pas.

Tombé

Lourd

Paisible

Auprès de toi

Au lit de nos amours fidèles

Mon corps meurtri demande grâce

Retrouve vigueur sur ton ventre

Et cette patience qui s’offre

Est aussi l’amour qui nous saigne du sang dont nous signons le pacte

Avec le diable de Venise, bel astre aux pieds fourchus

Qui se moque de Dieu autant que de lui-même

Boitant sur l’horizon vers l’enfer libre et doux

Où viendront les époux se consumer encor

En d’éternelles nuits de noces éternelles.

Venise

Seulement à dire

Ma mélancolie

Lointaine

De t’aimer

Ainsi

Tu captures tout ce que tu peux, ce que tu veux, dans ta main camescopique :

Le vent et du soleil, façades et cris du pont,

Chants des canaux et moi, à ta rencontre.

Venise et mon amour,

Mon amour qui me regarde, qui me garde. Qui sait ?



Gilbert Provaux

Venise-Paris

Juillet / novembre 2002

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