Je voudrais que tu t’en souviennes.
Nous étions jeunes encore, alors. Nous sortions d’un après-midi difficile, à chercher le meilleur chemin pour pénétrer les secrets de l’univers ; la formule la plus pertinente réunissant relativité générale, ta grande affaire, avec les folles embardées quantiques qui me ravissaient. Nos professeurs nous avaient laissé le laboratoire de physique – chimie pour nous tout seuls. Seuls vrais passionnés de savoir, en quête de la vérité ultime. Et de pouvoir ! Oui, de pouvoir ! Le mot t’a toujours fait peur, hypocrite !
Oh, je connais bien l’image que tu te donnes et que tu as donné aux autres, à tes concitoyens, à tes gouvernants. Celle d’un homme honnête, protecteur de l’humanité, agissant à la tête d’une petite équipe toute dévouée de monstres de foire aux talents surfaits. Je vous ai affronté tant de fois ! N’exerçais-tu aucun pouvoir sur eux ? Ils se seraient sacrifiés pour toi ! Tu entends régner, même si ce mot te répugne c’est pourtant le bon, en obéissant à un système prétendument démocratique qui régit le monde décrété par lui-même libre. En retour ce monde, dont tu as fait en sorte qu’il ne puisse pas se passer de toi, t’a accordé sa bienveillance et t’a honoré de son extravagante adulation. Vous aviez le pouvoir, toi et tes trois équipiers, d’agir vraiment. Tu as préféré le confort d’être « du bon côté », du côté des esclaves qui élisent leurs propres tortionnaires ! Et tu bondis lorsque j’emploie ces mots aussi ! Au fond tu n’es qu’un lâche, un hypocrite doublé d’un lâche !
Souviens-toi. Nous avons attendu le tramway pour regagner nos soupentes. Une foule de gens se trouvait là, les traits tirés, épuisés de leur rude journée de travailleurs, de chômeurs, d’indigents. Certes, le quartier n’était pas très reluisant. Mais enfin, les locaux de nos années d’études ne se trouvaient pas ailleurs. Et nous n’avions pas d’argent. Il y avait des gosses des rues qui trainaient-là, à l’abandon. Une petite fille maigre dans une petite blouse informe au tissu imprimé de quelques fleurs passées vaquait, un peu à l’écart, serrant entre ses mains sales des cartes à jouer usées jusqu’à la corde comme si c’était un trésor. Dans le tramway, elle se rencoigna essayant d’imiter le geste vif et précis des joueurs professionnels. Avec sérieux, elle n’y arrivait pas très bien mais jamais elle ne se lassait. Elle écartait nerveusement les mèches crasseuses de ses cheveux bruns et reprenait sa partie, non loin de nous, sans nous voir, sans voir personne. Où allait-elle ? A quel futur misérable était-elle vouée dans ce beau, grand et riche pays que tu défends ? Et dire que tu prétends sans rougir défendre toute l’humanité ! Menteur ! Hypocrite, lâche, et menteur ! Tu n’en as jamais défendu qu’une portion infime, celle dont tu fais partie, bonnes consciences satisfaites, moralisateurs et charitables ! Charitables ! Cette notion méprisable, dont vous vous enorgueillissez, vous ne l’appliquez même pas !
Cette enfant, c’est à peine si tu l’as regardée lorsque j’ai discrètement attiré ton attention sur elle. J’étais bouleversé. Comme chaque fois que la misère arrache les rideaux de la bienséance pour apparaître dans sa crudité glaciale, au beau milieu des festivités insolentes de ceux qui ont. J’étais bouleversé. Et toi, ton cerveau toujours encombré de mathématiques et de théorèmes, tu m’as fait un geste las de la main, qui voulait dire « laisse tomber, on ne peut rien n’y faire, le monde est comme ça… ».
II
Le Monde est comme ça. Eh bien moi, Richards, j’ai décidé qu’il ne serait pas comme ça. Tu connais mon histoire. Dans un certain pays d’Europe, on m’a nommé « Fatalis ». Je récuse ce nom. Je récuse la fatalité. Je suis un Destin ! Et plus rien ne me bouleverse. Toute chose est à sa place.
Tu t’agites. Tu voudrais me répondre et tu ne le peux pas. Non content de t’avoir couvert de chaines très spéciales qui inhibent ton pouvoir, j’ai fait poser un bâillon de métal qui paralyse tes mâchoires. Je suis le seul à parler et te voilà seul ici à m’écouter. Bientôt devraient, sans surprise, se précipiter ici les célèbres membres de ta famille, outrés du traitement que je t’inflige. N’est-ce pas ? C’est à cela que tu penses ? M’écoutes-tu ? Non, je ne crois pas. Tu n’écoutes jamais ce qu’il te déplait d’entendre. Tu essaies plutôt de réfléchir au moyen de te sauver, peu importe ce que je raconte. Je te regarde de près. Je te fais relever la tête en te prenant par les cheveux. Tes yeux écarquillés voudraient conserver un rien de dignité. Un semblant… Tu me répugnes ! Tout est illusion chez toi, tout est faux ! Tes trouvailles, tes inventions, ton génie scientifique ! Faux ! N’es-tu point, là, dominé, à ma merci ? A la merci du Dr Doom ?
Tu n’es jamais allé en enfer, Richards. Moi, si. Non pas comme Dante, en visiteur puéril guidé par Virgile, mais tel Ulysse retrouvant les ombres lamentables de ceux qui furent ses compagnons d’armes et d’infortunes. Et qui vit bientôt sa mère morte, triste fantôme décharné venu à lui à travers les limbes pour le prévenir des épreuves qui l’attendaient encore sur la terre d’Ithaque. Et moi aussi je retrouvai ma mère en enfer, où l’injustice des hommes l’avait envoyée, dans les sombres contrées rougeoyantes de Méphisto que je parvins à tromper ! Oui, je trompai le Maître en tromperie ! Et libérai ma mère de ce séjour dans les infernaux tourments !
Tu ne me crois pas. Peu importe. Tu connais le reste cependant. Cette mère admirable qui fut la mienne, venue avec les siens, gens du voyage, gitans, suscitant l’ancestrale haine de l’humanité sédentaire, compagne de la peur et du fanatisme. Car elle avait le don. La Nature s’ouvrait à elle comme à une amie chère. Accusée de sorcellerie, elle fut mise au bûcher et ma famille, exterminée. Orphelin, traqué, je parvins à m’échapper, fit tous les métiers, jusques aux plus vils, je volai, tuai, pillai, que sais-je ! Je gagnai les Etats Unis d’Amérique, j’étais doué, mes capacités intellectuelles s’avéraient remarquables, je m’engageai dans les études. C’est là que nous nous connûmes Reed Richards. Et que je crus à ton amitié.
Nous avons travaillé ensemble. C’était bien après la petite mendigote du tramway. Notre ardeur avait payé et nous concentrions nos efforts au sein d’une centrale atomique où nous avions été recrutés pour déployer au maximum ses capacités tout en veillant aux procès de sécurité. Eh bien ? Tu fermes les yeux ? Ce rappel te fait souffrir, aurais-tu mauvaise conscience ? Pour un peu, je croirais t’entendre prononcer ces mots, les mêmes que jadis, l’air penaud, et que tes semblables prononcent à tout bout de champ : « Je suis désolé ». Désolé, c’est moi qui le fus, lorsque ton incompétence, ou ta légèreté, les deux peut-être, ont provoqué cette explosion tandis que tu étais à l’abri, ignorant résolument les consignes qui auraient pu m’épargner ! Je n’en suis pas mort, non, comme tu le vois, comme tu le regrettes sans doute, depuis.
Car j’étais physiquement atteint. Défiguré. Ne pouvant pas même regarder le reflet de ce qu’était devenu mon propre visage dans un miroir.
Une horrible chose couturée,
à peine rafistolée, sans aucun trait reconnaissable, de la chair brûlée, trouée d’yeux hagards au-dessus d’une coque de plastique tenant lieu de nez surplombant une béance répugnante édentée qu’on osa appeler « bouche ». J’ai tué l’infortuné praticien qui employa devant moi ce mot-là.
Je l’ai tué au moment même où il l’employa. Je t’aurais tué aussi sans le moindre scrupule. Mais tu t’étais bien gardé de te tenir à mon chevet.
Alors, je me suis enfui, emportant avec moi, ma rage inextinguible, la haine inaltérable qui m’anime et cette folie qui me guide, inlassable, chaleureuse, fidèle.
Mon Génie !
III
A la nuit, vêtu de hardes sordides, mon visage dissimulé sous un chapeau aux larges bords, le col de mon manteau relevé autant que possible, j’embarquais à bord d’un cargo, passager clandestin désormais ennemi juré du genre humain, en route vers l’Europe.
La Latvérie.
Le Vieux-Pays creusé dans ses hautes montagnes, par ses torrents et la rudesse joyeuse de ses vents. Dont les plateaux désolés angoissent le visiteur égaré aux prises avec les sentiers trompeurs, les jeunes bergers espiègles, les villageois méfiants qui ferment leurs volets aux hurlements des loups, ou d’autres bêtes plus terribles encore. Mais il y a des champs et des près verdoyants, tout couverts de boutons d’or, des rivières nonchalantes au pieds des rocs abrupts qui supportent des châteaux ruinés pleins de réminiscences des fastes passés.
Les villes ont le charme modeste et s’embellissent de fleurs simples aux couleurs harmonieuses. Le granit des pierres en oublie sa dureté. Eh quoi, t’exclamerais-tu, ce n’est-là qu’imagerie rétrograde d’un esprit naïf et passéiste ! Rassure-toi, il y a aussi de l’électricité et des centrales qui fonctionnent à plein rendement, j’ai toujours eu besoin de beaucoup d’énergie ! Ma Capitale, Latvéria, sous son apparence désuète avec ses envolée gothiques, sa citadelle qui rappelle quelle place forte elle a été, et elle l’est toujours, crois-moi, ses rues pavées, recèle de pures merveilles électroniques et numériques qui étonneraient plus d’un imprudent !
Je rentrai donc au pays. Un freluquet le gouvernait, le Prince Rodolphe, qui prétendait lui-même descendre des Habsbourg. Cette ascendance prestigieuse était usurpée, évidemment, mais que m’importait ! Le pays était déchiré par les luttes pour le pouvoir. Des clans s’affrontaient. Des attentats avaient lieu qui terrorisaient la population. Le Prince régnant, soutenu à bout de bras par des puissances étrangères qui prélevaient un lourd tribut sur mon pays riche de certaines matières premières comme le cobalt, ou de ses gisements d’émeraudes, s’était mis à dos les partis nationalistes. Ses discours tentant de rallier à lui les indigents innombrables par des promesses intenables, n’avaient pour effet que de provoquer de nouveaux troubles, émaillés de violentes émeutes bientôt réprimées dans le sang. Conditions idéales pour un homme de ma trempe ! Je n’eu pas à comploter longtemps. Je commençai par intégrer un groupe de partisans dont l’idéologie vaguement populacière m’indifférait mais qui me paraissait parmi les mieux organisés. Ma forme physique croissait considérablement au contact de l’action. Je m’étais fabriqué rapidement un masque aux traits anonymes. Je participai à de nombreuses actions pour récupérer de l’argent auprès des banques, de véritables « casses », pour lesquels mes connaissances scientifiques, mon habileté technique, mes aptitudes innées au commandement firent merveille. J’éliminai au passage les chefs timorés qui prétendaient diriger l’action politique du mouvement.
Les crétins ! J’utilisai la fortune amassée pour me procurer le matériel nécessaire à la confection de mon premier vrai chef-d’œuvre : cette armure inaltérable qui me recouvre entièrement, bardée d’armes puissantes et de ressources insoupçonnées, cette armure qui est devenue moi, qui est moi ! Avec ce visage de métal qui reflète ma volonté mieux que n’importe quelle chair ne le ferait ! Et ce manteau à capuche qui me recouvre, amplifiant l’effroi que cause ma simple apparition, la vue de ma haute silhouette approchant…
Des groupes opposés crurent bon de s’entendre pour se rallier à moi. Nous exterminâmes les autres. La population se souleva tandis que nous parvenions aux portes de Latvéria, où Rodolphe, que ses soutiens avaient abandonnés, abdiqua en ma faveur. J’étais désormais le Maître du destin de mon pays. Je faisais aussitôt arrêter Rodolphe, tous les comploteurs, chefs de bandes, chefs de partis, et autres imbéciles afin d’assoir mon pouvoir sans me soucier des pauvres velléités démocratiques qui avaient eu la stupidité de s’exprimer ici ou là. Car je suis un tyran.
Je ne veux pas discuter avec toi. A quoi bon ? C’est pourquoi je t’ai muselé. Cependant, ton regard réprobateur en dit long. Découvrirais-tu, par extraordinaire, que je fusse un tyran ? Non, bien sûr. Ce qui te choque c’est que j’en revendique le titre comme une distinction. Tu ne devrais pas en être choqué. Je ne vois pas en quoi la tyrannie d’un seul serait plus condamnable que la tyrannie de tous. Au contraire. Par la grâce du nombre, cette tyrannie que vous nommez pompeusement « Démocratie », serait souhaitable ! Quand chaque jour qui passe vous devez composer avec vos maîtres, ici, chacun compose avec un seul. Quand vous faites le compte de vos exécrations, vos listes s’allongent infiniment. Ici, un seul nom suffit. Vous en venez à haïr l’humanité, l’accabler de tous les maux. Ici, un seul est haïssable.
C’est moi.
Mon peuple le sait. Il sait que je suis la main de fer qui écrase sans pitié celui qui par son audace s’opposerait à moi. Celle ou celui qui me déplait doit disparaître, dès lors qu’il ou elle aura fini de m’amuser, ou de servir. Ce que mon peuple sait aussi, c’est que cette main impitoyable peut aussi protéger. Il en a fait l’expérience lorsque mon pays a été soumis à des attaques brutales inconsidérées de la part d’ennemis dont l’inconscience méritait la sévère punition dont je les ai frappés. En revanche, ce que mon peuple ne doit pas savoir, c’est que ma main peut aussi caresser, car il en tirerait des conclusions de possible faiblesse, gravement erronées, qui ne pourraient que lui nuire.
IV
Il va falloir t’y faire, Richards : je suis le Maître du Monde ! Tu ne veux pas le croire… Qu’ai-je besoin de trôner à Washington ? Où que ce soit d’autre ? Je suis fort bien ici, au milieu de mon peuple comme de ces vieilles murailles. En vérité, je suis celui qu’on redoute. L’objet de vos inquiétudes, l’ébranleur de cette terre incertaine que vous tenez pour la vôtre. L’Empereur de vos pires cauchemars, l’Organisateur de vos hantises. Le Maître du Monde, te dis-je… Ah, si tu savais ! Si tu savais tout !
C’est vrai, je l’avoue : j’ai eu un mouvement d’humeur lorsque j’ai appris ton mariage. Sue Storm avait donc renoncé à succomber au charme abyssal du Prince Namor. Pour te choisir toi ! Champion fadasse, pantouflard et aseptisé de l’humaine condition ! Alors, choqué de n’être point invité, j’ai décidé généreusement de me charger des festivités, ce n’est pas rien de marier Mister Fantastic ! J’ai mobilisé le ban et l’arrière ban de tous tes adversaires les plus résolus, et pas un n’a manqué à l’appel de telles réjouissances ! Quel souvenir tout de même ! Les bons d’un côté, les très méchants de l’autre ! C’est la fin qui gâche tout : les bons gagnent. Enfin, nous verrons.
Puisqu’on en est au rayon des souvenirs, en voici un autre, très différent. Galactus ! Quelle formidable puissance ! Il m’en coûte de l’avouer devant toi, mais un court instant, lorsqu’il m’est apparu à travers les nuées cosmiques, géant dérangé dans ses occupations impénétrables par une poussière, un insecte minuscule sans intérêt, moi, j’ai eu le sentiment d’avoir contemplé un dieu. Et, de fait, c’en était un, qui m’a relégué d’un simple regard dédaigneux, à ma misérable condition d’humain. Moi qui étais parvenu à m’emparer du pouvoir démesuré de celui qui fut son héraut ! Soudain, tout avait disparu. Et tu as crié, d’un bel élan avec tes trois idiots de partenaires, à la victoire ! Quelle dérision ! Cette victoire n’a jamais été la vôtre. Qu’importe à présent ? Il n’est pas impossible, lorsque tout sera consommé et que l’ennui, effrayant, s’installera, que je quitte ce monde. Que je m’envole vers d’autres galaxies, dans la quête éternelle, ma quête, du Grand Pouvoir ! Que je m’égale à Galactus, mieux : que je le supplante ! Que j’obtienne la réponse à la question : pourquoi ?
Tu connais ma mégalomanie, Richards. Tu dois te demander ce que je trame en discourant ainsi. Ma mégalomanie n’explique pas tout. Il est vrai que j’ai toujours aimé vous abrutir de mots, bons ou mauvais, ça m’a joué des tours. Le plaisir de la logorrhée chez les Méchants de l’histoire, est cause récurrente de leurs défaites. Il ne s’agit pas de ça, aujourd’hui. La fin est proche.
Gardes ! Libérez-le des chaines dont je l’ai couvert !
Aussitôt, te voilà sur moi. D’un revers de cette main de métal dont je t’ai parlé, je te renvoie facilement sur les dalles où tu gis à nouveau, libre de tes mouvements ; tu saignes de la tempe, Richards. Non, mes gardes, je n’ai rien à craindre de lui, restez où vous êtes. Tu trépignes. Tes gestes sont si désordonnés. Nul de tes membres ne s’allongent. Tes forces qui furent grandes du fait de la mutation qui affecta l’élasticité musculaire de ton corps, ne sont plus que celle d’un homme du commun. Un seul de mes coups de pied te fais te recroqueviller sur le sol, tordu de douleur. Tu vois, mes chaines n’étaient que des chaines métalliques sans aucun effet inhibiteur. As-tu compris ? Oh, pardon, le bâillon… Voilà, je te l’ai ôté. Mais tu ne dis rien. Tu serres les dents, tu ne comprends pas. Elémentaire, Richards, tes pouvoirs se sont enfuis.
A présent, observe tous ces écrans autour de cette salle. Ils s’allument pour toi. Ici, ne reconnais-tu pas votre renommé quartier général, le fameux Baxter Buildings. Si, bien sûr. Les déménageurs ont fort à faire avec tout ce matériel fragile à emporter. Que va-t-on faire de cet immeuble imposant ? Un musée ? Une maison de retraite ?
Et sur cet écran-là, c’est un mariage.
Un de tes bons amis. Benjamin Grimm. Celui dont je ne supportais pas la vulgarité, ni le physique d’ailleurs, la grotesque chose, ainsi l’appelais-je, redevenu lui-même, un bon américain, patriote bon teint, qui épouse sa promise, l’aveugle Alicia, si j’ai bonne mémoire. Je me suis laissé dire que le marié était fou de joie quand il a su que ses pouvoirs ne reviendraient plus.
Et qu’il n’avait plus aucunement l’intention de te servir de cobaye, au cas où tu pourrais encore sévir, ce qui n’est pas d’actualité.
Mais alors, les deux autres « Fantastiques » ?
V
Je voudrais que tu te souviennes, Richards.
Vous aviez eu tous les quatre ensembles ce terrible accident qui avait fait de vous, des monstres. Et comme tous les monstres vous avez couru à la reconnaissance des êtres humains « normaux ». Ils vous ont bien accepté pour autant que vous jouiez le jeu, leur jeu. Vous devant, eux derrières dans les difficultés. Et avec obligation de résultat. Vos pouvoirs vous ont tourné la tête. Vous êtes devenus des « stars » !
J’avais eu une discussion avec toi, au cours de nos affrontements passés. Je connaissais parfaitement les circonstances de votre accident. J’avais pu recueillir quelques éléments dont l’instabilité m’avait frappée. Tu ne m’avais pas écouté. Je passe sur les détails, de toutes façons j’ai l’impression que tu ne m’écoutes plus non plus maintenant tant ta stupeur est impressionnante. Bref, ma conclusion était que vos pouvoirs n’étaient que des effets secondaires tout à fait réversibles. Conclusion confortée lors d’une de nos batailles là-bas, chez vous, où j’ai bien failli l’emporter, vous aviez perdu vos pouvoirs ! Pourtant, ils réapparurent, comme un dernier soubresaut avant de disparaître à nouveau. Et cette fois définitivement. C’est arrivé. Tu ne l’as pas supporté. Ni toi, ni ton épouse, ni ton beau-frère. Seul Ben Grimm a été ravi. Ce que tu sais.
Vous, vous avez refusé. Vos égos avaient totalement subverti vos psychés. Et vous avez continué de nier la réalité en agissant comme si vous étiez encore les « Quatre Fabuleux Fantastiques » ! La Chose avait, pour vous, pour votre scénario délirant, disparue, enlevée par l’odieux Dr Doom ! Et vous êtes venus la chercher. Et c’est en Latvérie, à domicile comme disent les sportifs, que je vous ai vaincu. Pauvres fous, cette victoire m’a donné le Monde ! Car j’étais prêt ! Sans difficulté, vous avez été capturés et j’ai pu lancer l’assaut que je préparai depuis si longtemps, écraser les armées adverses, les religions et leurs fanatiques, les politiques et leurs turpitudes. Les hommes d’affaires et les banquiers sont venus ramper sur mes pas, ils croupissent dans des cachots. La vermine peut attendre. J’ai stupéfié la planète entière. Elle est comme toi en ce moment, Richards, muette !
Ah, nous y sommes ! Voici les images que j’attendais. D’abord, ton épouse, puis son frère. J’ai veillé à ce qu’on ne les installe pas dans la même cellule. Leurs gesticulations sont dangereuses. Vois comme ta femme s’ingénie à raser le mur, sous l’œil amusé de l’infirmière. Elle croit toujours être invisible. Ou bien elle essaie d’improviser un champ de force avec un matelas. Pitoyable. Et le fougueux Johnny Storm qui hurle, vainement, « Flammes en avant ! », entends-tu Richards ? C’est à pleurer !
Je vais te laisser devant ces images qui tournent en boucle. Quoi ! Tu me saisis par le bras ! Comment oses-tu ? Je comprends, tu n’en reviens toujours pas… Oui, difficile pour toi d’accepter. Et ce qui vient d’apparaître à l’écran, comment dire, pourrait bien accroitre encore ton malaise. Cela se passe en temps réel, mon cher vaincu aux yeux hagards :
A la place du Christ, qui étend ses grands bras protecteurs au-dessus de Rio ? Au-dessus de Paris, qui règne en majesté à l’endroit où dominait le Sacré-Cœur ? Qui veille sur la Cité Interdite à Pékin écrasant la statue effondrée de Mao ? Qui surplombe le Kremlin, le pied sur le mausolée de Lénine ? Qui, enfin, éclaire le Monde dans le port de New-York ? La Liberté ? Non, ici comme partout ailleurs, Le Dr Doom !
A la mémoire de Stan Lee
Gilbert Provaux
Août 2021
Comments