Je vis parmi vous encore un peu
Vous êtes les suivants, mes prochains, ma progéniture altérée.
Vous êtes mes descendants illégitimes, indignes, irrespectueux,
Pleins de la morgue des épuisés, ingrats, vindicatifs.
Vous me voudriez mort et oublié.
Or, je vis encore un peu, de plus en plus loin cependant.
Vous avez gagné ; las, vous n’avez rien des gagnants
Vous avez gagné par abandon, par le bas où prospère la médiocrité
Je ne vous en veux même pas, c’est moi qui m’étais fait des idées.
!["Le solitaire" Mercedes Gordo](https://static.wixstatic.com/media/6ace17_e930025261ca4dfc943ee9b614e300fa~mv2.jpg/v1/fill/w_158,h_108,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,blur_2,enc_auto/6ace17_e930025261ca4dfc943ee9b614e300fa~mv2.jpg)
Je vis dans une tour délabrée qui ne s’effondrera pas avant moi.
Une tour au bord du gouffre comme toute chose démesurée.
Je crois être le vingtième de ma race bien que je remonte à plus haut
Ma vieillesse est plus vieille qu’on ne l’imaginerait,
Si on me connaissait.
Vous irez bientôt, vous allez déjà, naviguer idiots sur les canaux de Mars
Vous avez trafiqué la lune,
Vous vendrez les morceaux d’astres morts à l’encan,
Tout en larmoyant sur la Terre bleue
Vous la voudriez à votre image : verte, aussi veule et fausse que vous.
Artificielle ; peuplée d’une faune anémique, sans crocs ni griffes,
Sous contrôles, au milieu de la forêt bien taillée,
Pullulant dans le bocage ordonné recréé en laboratoire,
En vos cervelles roses et sucrées
Où le paysan ni le chasseur ne traînent plus leurs bottes boueuses.
Non, vous n’avez certes pas le goût du sang
Ni l’élégance du toréador ou la noblesse de la torera
Face à la suprême brute écumante qui les combat.
Le rouge et le noir ne vous disent rien.
Votre nature n’a pas d’odeur, la chair y est mal vue.
Il vous la faut docile, gérée à l’économie, serviable
Et de bon aloi.
Vous êtes gentils.
Alors, vous y travaillez. Et vous inventez une nature modèle.
Dévitalisée, où la vie et la mort seraient déliées.
Les mystères vous échappent, vous préférez le mensonge.
Vous ne portez que ce que vos pauvres forces peuvent supporter :
La Religion. Avec vos cohortes fanatisées, vos bigots dévoués,
Vos hérésiarques contre lesquels vous fulminez.
Et vous prêchez le Pouvoir tant aimé, celui qui vous aime.
![Gilbert PROVAUX](https://static.wixstatic.com/media/6ace17_aa682a101dbd4e75908374b348f6b4d7~mv2.jpg/v1/fill/w_147,h_122,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,blur_2,enc_auto/6ace17_aa682a101dbd4e75908374b348f6b4d7~mv2.jpg)
Moi, je viens d’un autre pouvoir,
qui d’un souffle, fit advenir le Soleil,
La Terre ;
d’une parole le Ciel et l’Eau,
Et dans le feu, forgea la race des Créateurs.
Un pouvoir tel, qu’entre ses mains de sculpteur
Sa propre fin était inscrite sur le marbre qu’il martelait
Avec aussi le signe précieux de l’infini commencement.
Votre pouvoir est le pouvoir du faible, de l’apeuré.
Comme vous ne savez rien, vous ne le savez pas.
C’est le pouvoir autour duquel se rassemble le troupeau.
Ah ! Comme vous l’aimez ce troupeau !
![Roland TOPOR](https://static.wixstatic.com/media/6ace17_fd65606cef8e45a093fbd6c0e91f5ee1~mv2.jpg/v1/fill/w_144,h_126,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,blur_2,enc_auto/6ace17_fd65606cef8e45a093fbd6c0e91f5ee1~mv2.jpg)
Alors que celui dont j’ai parlé,
D’où j’ai éclos comme une fleur mauvaise mais si tenace,
Et dont je sens encore sur ma carcasse
La pluie acérée des coups anciens comme une mémoire bonne
A exister, finit sa course ailleurs, dans le néant des novas,
Les yeux crevés des galaxies, les trous béants inexorables,
Que je puis seul, me repaître de tous les advenus :
Le viol, la violence, la guerre, l’ordure,
La main qui se ferme pour cogner,
La main qui s’ouvre pour la caresse,
Le salut fraternel aux camarades,
L’amour qui se lève pour rendre bonne justice,
L’or qui brille dans des yeux apaisés
La camarde généreuse sur son tas d’os fumant
Laissant aux coquelicots le soin de tout
arranger.
Tout, et tout ensemble.
La créature est advenue ainsi à coups redoublés de marteaux
De burins, de ciseaux, avant que de sentir la tendresse du polissage
Elle a aimé puis haï son créateur, elle s’est plainte, a récriminé,
Tout en savourant ce que le créateur lui avait conféré : force, grâce.
Sa beauté
Lancée dans le monde, elle a conquis, elle est tombée
Elle a bafoué les prétentions du destin, s’est redressée
Ce pourquoi elle a été créée, pour devenir.
Et voici que vous plaigniez la créature,
Quand c’est le créateur qui se blesse.
L’Artiste est compliqué, il souffre tous les tourments
Il est agressif, cruel, harceleur de toutes matières vivantes
Ou mortes ; il est méchant. Il en fait son si désirable miel
Son œuvre belle, rayonnante, véritable, inquiétante
Et sublime
Dont nous nous repaissions pour vivre mieux
Pour grandir en force à l’assaut des possibles vertigineux
Qu’il nous offrait en s’effaçant.
Il ne nous reste plus rien.
A cause de vous, de vos petitesses.
A cause de vos trépignements d’enfants capricieux,
Aspirant au confort qui amenuise jusqu’au néant,
Qui ne sont pas les gestes de rébellion dont vous vous targuez
Pour me perdre, mais bien plutôt les soubresauts hystériques
De vos lâchetés au pied des trônes complaisants de la Police
Et de la Loi.
Ainsi donc, ainsi donc, ainsi donc, tout s’achève,
L’histoire de l’homme et de la femme, dans la confusion,
Le désaveu, le ressentiment, la folie des condamnations.
Moi, j’attends l’Océan !
![Dolores MARAT](https://static.wixstatic.com/media/6ace17_24541875dfb74ca9b5cec6c102756277~mv2.jpg/v1/fill/w_147,h_96,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,blur_2,enc_auto/6ace17_24541875dfb74ca9b5cec6c102756277~mv2.jpg)
Il bat déjà mes vieilles murailles
Océan sapeur de murs, de rivages, l’artiste océan qui dessine
Et dessine encore les terres surpeuplées avant d’engloutir.
Je suis un phare des plus antiques, des plus menacés, cela me va bien !
Là-bas, gesticulent les journalistes, convulsent les économistes
S’empoignent les adorateurs des peuples enivrés par leur crasse,
Roulant et s’enfonçant dans les sables nauséabonds des crapules
Rompues à l’émotion contagieuse de la maladie populaire.
Le pathétique appuyé de ce spectacle me révulse.
Je me retire au fond de ma tour, de l’autre côté du monde
Là où j’aperçois les flots puissants des équinoxes à venir
Avec lesquels je partage mépris et démesure.
Oui, tout s’achève ainsi. Même ma colère de vingt siècles.
Je boirai cette coupe jusqu’à la lie, avec un incroyable sourire.
Comme les vieux bretons qui attendent le retour du Roi
Le vieil Ankou passera me prendre à sa convenance.
Et je serai prêt.
!["Il n"y a plus rien" - Leo FERRE](https://static.wixstatic.com/media/6ace17_24d19145da4a4e3cb71cf0b53021fecd~mv2.jpg/v1/fill/w_108,h_108,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01,blur_2,enc_auto/6ace17_24d19145da4a4e3cb71cf0b53021fecd~mv2.jpg)
Gilbert Provaux - MARS 2024